HENRI REGNAULT
QUELQUES LETTRES INÉDITES
onsieur Roger Marx vient de donner à la série les Artistes célèbres,
qu'édite M. Rouam avec un succès croissant, un Henri Regnault.
L'entrain du récit, le choix de la forme, la recherche et la mise en
relief du renseignement typique, la balance dans l'éloge comme
dans la réserve, font de cette étude un morceau d'une lecture atta-
chante. Dans la période de transition traversée par la critique fran-
çaise, au milieu des anciens « qui sont vidés », comme le leur disait
poliment ces mois passés une revue qui déjà agonise, et des jeunes
qui s'abreuvent de reportage, M. Roger Marx marche avec décision,
à pas remarqués. Le François Boucher, de M. André Michel, que
nous avons salué avec une si vive sympathie d'artiste et de lettré, a désormais son pendant dans
la collection dirigée par M. Eugène Mùntz avec tant de perspicacité et de courtoisie.
Nous n'avons point à revenir sur l'ensemble de l'œuvre de Henri Regnault. Son nom
d'artiste bénéficiera toujours de sa gloire de héros. Il est de ceux pour qui les anciens disaient :
« Heureux qui meurt jeune ! » Il est tombé dans l'ivresse de la colère contre l'ennemi, de l'espoir
que son dernier coup de feu servirait à sa patrie. Ne touchons point à la couronne posée
sur ce front sanglant !
Regnault avait vécu dans l'ivresse non moins capiteuse du travail facile, de la réputation tôt
venue et bruyamment acclamée. Il n'a point connu, soupçonné les vides qui se créent lentement,
mais sûrement, autour de ces enfants gâtés de la Fortune.
Un pareil applaudissement avait salué Horace Vernet.
Eugène Delacroix nous marquait un jour en un mot le trouble que son étonnante agilité
de pinceau jetait même parmi ceux qui étaient aptes à le juger : « Nous allions le voir peindre,
avec Ary Scheffer. Quand il enlevait un cheval, sous nos yeux, sans modèle, sans l'avoir indiqué
autrement que par quelques contours à la craie, sans erreur de palette, nous demeurions des
heures dans son atelier. Pendant que la peinture était fraîche, c'était sans défauts. Nous sortions
en nous disant avec chaleur : Ce brave Horace, il tient enfin son chef-d'œuvre ! » 1
L'Exposition posthume des œuvres de Regnault, ouverte à l'Ecole des Beaux-Arts, en mars 1872,
permit de juger de l'emportement de son effort, de la sincérité de sa nature, de la redoutable
influence d'un enseignement mesquin. Ses aquarelles, vives, claires, solides, le placèrent à un
1. J'ai recueilli ces mots textuels, sur un carnet de notes, au sortir d'une visite à M. Delacroix, place Furstemberg.
QUELQUES LETTRES INÉDITES
onsieur Roger Marx vient de donner à la série les Artistes célèbres,
qu'édite M. Rouam avec un succès croissant, un Henri Regnault.
L'entrain du récit, le choix de la forme, la recherche et la mise en
relief du renseignement typique, la balance dans l'éloge comme
dans la réserve, font de cette étude un morceau d'une lecture atta-
chante. Dans la période de transition traversée par la critique fran-
çaise, au milieu des anciens « qui sont vidés », comme le leur disait
poliment ces mois passés une revue qui déjà agonise, et des jeunes
qui s'abreuvent de reportage, M. Roger Marx marche avec décision,
à pas remarqués. Le François Boucher, de M. André Michel, que
nous avons salué avec une si vive sympathie d'artiste et de lettré, a désormais son pendant dans
la collection dirigée par M. Eugène Mùntz avec tant de perspicacité et de courtoisie.
Nous n'avons point à revenir sur l'ensemble de l'œuvre de Henri Regnault. Son nom
d'artiste bénéficiera toujours de sa gloire de héros. Il est de ceux pour qui les anciens disaient :
« Heureux qui meurt jeune ! » Il est tombé dans l'ivresse de la colère contre l'ennemi, de l'espoir
que son dernier coup de feu servirait à sa patrie. Ne touchons point à la couronne posée
sur ce front sanglant !
Regnault avait vécu dans l'ivresse non moins capiteuse du travail facile, de la réputation tôt
venue et bruyamment acclamée. Il n'a point connu, soupçonné les vides qui se créent lentement,
mais sûrement, autour de ces enfants gâtés de la Fortune.
Un pareil applaudissement avait salué Horace Vernet.
Eugène Delacroix nous marquait un jour en un mot le trouble que son étonnante agilité
de pinceau jetait même parmi ceux qui étaient aptes à le juger : « Nous allions le voir peindre,
avec Ary Scheffer. Quand il enlevait un cheval, sous nos yeux, sans modèle, sans l'avoir indiqué
autrement que par quelques contours à la craie, sans erreur de palette, nous demeurions des
heures dans son atelier. Pendant que la peinture était fraîche, c'était sans défauts. Nous sortions
en nous disant avec chaleur : Ce brave Horace, il tient enfin son chef-d'œuvre ! » 1
L'Exposition posthume des œuvres de Regnault, ouverte à l'Ecole des Beaux-Arts, en mars 1872,
permit de juger de l'emportement de son effort, de la sincérité de sa nature, de la redoutable
influence d'un enseignement mesquin. Ses aquarelles, vives, claires, solides, le placèrent à un
1. J'ai recueilli ces mots textuels, sur un carnet de notes, au sortir d'une visite à M. Delacroix, place Furstemberg.