L' art: revue hebdomadaire illustrée (12.1886 (Teil 2))

DEUX PORTRAITS PAR HOLBEIN A RETROUVER

n 1604, un savant chanoine de Troyes, bien connu des érudits, P. Camusat,
envoya ■ à Denis Godefroy, sur la généalogie de la maison de Selve, un
mémoire resté manuscrit1 où se trouve rapporté un fait qui m'a paru assez
curieux pour être signalé.

Camusat raconte que Georges de Selve, évêque de Lavaur, étant allé
visiter en Angleterre son ami intime, M. de Polizy, seigneur de d'Inteville
et bailli de Troyes, lorsque celui-ci était ambassadeur de France près de

Henri VIII, c'est-à-dire de 1531 à i533, « Tous deux firent faire l'excellent tableau qui est à
présent à Paris, au logis de M. de Sessac, auquel iceux bailli et évêque sont représentez au
naturel ; ledit tableau fait de la main d'un Hollandois. La pièce est estimée la plus riche et
mieux travaillée qui soit en France. »

Une note insérée dans un autre manuscrit de la même collection 2 répète ces détails en les
complétant, et, ce qui est le plus intéressant, donne le nom du peintre, qui n'est autre qu'Hol-
bein, toujours qualifié de Hollandais. Je la cite textuellement : « Georges de Selve, évêque de
Lavaur, avoit été invité par M. de Polizy, bailly de Troyes, ambassadeur en Angleterre ès
années i532 et 1533, de le visiter en Angleterre, comme il feit (fit), après en avoir pris congé
du Roy (François Ier). Ils firent faire l'excellent tableau par un peintre hollandois, Holbein, lequel
tableau, a esté conservé en la maison de Polizy (distante seulement d'une lieue de Bar-sur-Seine)
cent quarante ans et plus3, comme appartenant au seigneur du lieu, sr de Sessac, jusques en
l'année 1653 qu'il Ta fait transporter à Paris en sa maison proche la paroisse de S'-Sulpice.
Ledit tableau représentant ledit sr de Polizy, Jean de d'Inteville, et ledict sieur évesque de Lavaur,
qui fut depuis ambassadeur près de l'empereur Charles V et mourut ledit évesque en l'an 1541.
On tient ledit tableau la plus belle pièce de peinture qui soit en France, au jugement des
meilleurs peintres. »

Il est probable que l'auteur de la note avait vu cette toile devenue célèbre en France et que
ce fut en connaissance de cause qu'il la donna à Holbein, soit qu'elle portât la signature du maître,
soit que l'attribution au grand artiste vînt d'une tradition de famille ou de l'appréciation de juges
compétents. Holbein habitait depuis i52Ô l'Angleterre, où Henri VIII l'avait comblé d'honneurs,
et c'était une chose bien naturelle que, soit par amour de l'art, soit pour faire sa cour, d'Inteville
s'adressât au peintre favori du monarque près duquel il était ambassadeur.

Qu'est devenu ce tableau qui n'a jamais été gravé et dont je n'ai trouvé la mention ni dans
Nagler, ni dans l'ouvrage si complet de Woltmann, Holbein nnd Seine Zeit (Leipzig, 1874-1876,
2 vol. in-8°) ? S'il subsiste encore, ce dont il est permis de douter, ce ne peut être que dans une
collection particulière de la France ou de l'étranger. Il sera d'ailleurs très facile à reconnaître,
indépendamment de toute appréciation artistique ; car l'un des personnages, l'évêque de Lavaur,
y est certainement représenté en habit épiscopal.

Ludovic Lalanne.

1. Collection Godefroy, ms. 620, f° 282 (Bibliothèque de l'Institut).

2. Ms. n" 216, f" 34. Cette note est intitulée : Mémoire pour l'intelligence des lettres envoyées par M. Camusat. Elle est de la main
d'un des copistes ordinaires de Godefroy.

3. Ce chiffre est e'videmment une faute de copiste, puisque de i533 à i653 il n'y a que cent vingt ans.

Le Directeur-Gérant : EUGÈNE VÉRON.