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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 12.1886 (Teil 2)

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Jullien, Adolphe: Hector Berlioz, [2]
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https://doi.org/10.11588/diglit.19706#0206

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de tout. Cela n'a pas l'ombre d'intérêt ni de bon sens. Et c'est son troisième fiasco. Eh bien ! il
en fera un quatrième! On ne fait plus des douzaines d'opéras... beaux. Paisiello en a écrit cent
soixante-dix; mais quels opéras! Et qu'en reste-t-il ? En fait de symphonies, Mozart en écrivit
dix-sept, dont trois sont belles, et encore ! Le bon Haydn seul a fait une grande quantité de
jolies choses en ce genre. Beethoven a fait sept chefs-d'œuvre. Mais Beethoven n'est pas un
homme. Et quand on n'est qu'un homme, il ne faut pas trancher du dieu. » La Reine de Saba
venait après la Nonne sanglante et Sapho. Polyeucte fut le quatrième opéra de M. Gounod joué
d'origine à l'Opéra. Berlioz avait prévu Polyeucte; il n'avait pas prévu le Tribut de Zamora.

Berlioz, en sa qualité d'artiste, était on ne peut plus personnel. Comme tous les créateurs,
il n'admirait guère et n'aimait que ses propres créations, plus celles des génies dont il pensait
pouvoir se réclamer; mais ce défaut, commun à tous les artistes, ne diminuait en rien son
génie. On aurait tort, cependant, de le travestir, même en
poésie, en un martyr rempli de douceur et d'abnégation.
Il aimait à jouer ce rôle, à exagérer plutôt les déboires,
déjà bien cruels, qu'il subissait ; mais il n'en montrait que
plus d'acharnement contre les faux talents : il ne plaignait
pas simplement ses détracteurs, comme il a plu à des
poètes de le dire, mais il leur rendit coups pour coups ;
c'était son droit, après tout, et bien il fit d'en user.
Il batailla tant qu'il eut la vigueur nécessaire et s'il rendit
les armes, ce ne fut que tout à la fin de sa vie, après
s'être épuisé en efforts surhumains pour lutter contre les
hommes , et les événements, et lorsqu'il se sentit décidément
écrasé par le nombre et la fatalité.

Aujourd'hui, le voilà coulé en bronze et l'éclat de sa
gloire rejaillit sur son propre pays qui l'a si fort maltraité,
si bien méconnu de son vivant. Comme il est de tous les
temps, le génie est de tous les pays. Les créations vérita-
blement marquées à son empreinte ont beau être repoussées
et raillées par le public lorsqu'elles surgissent, elles n'en
exercent pas moins une influence latente et généreuse par
tout le monde musical. Les badauds rient, mais les artistes,
peu à peu gagnés, réfléchissent, étudient, s'engagent enfin dans la voie ouverte par le novateur
et aident de toutes leurs forces, sans le faire exprès, à la lumineuse expansion de son génie.
Ainsi en fut-il pour Berlioz, dont on ne compte plus aujourd'hui les disciples et les partisans.

« Comme musicien, — disait-il un jour, — il me sera, je l'espère, beaucoup pardonné, parce
que j'ai beaucoup aimé. Comme critique, j'ai été, je suis et je serai cruellement puni, parce que
j'ai eu, parce que j'ai et que j'aurai toute ma vie des haines cruelles et d'incommensurables
mépris. C'est juste. » Il se trompait : sans qu'on eût rien à pardonner au compositeur, ni à faire
expier au critique, il convenait d'exalter en Berlioz le créateur de génie et l'artiste aux convictions
ardentes, implacables. Tant pis pour ceux qui ne l'ont pas compris et qui, par basse envie,
espéraient voir toujours cette statue à terre : aujourd'hui que la voilà dressée, ils ne sauraient la
jeter bas.

Adolphe Jullien.

Hector Berlioz, par Carjat.
{Le Boulevard, 1863.)

Tome XLI.

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