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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 16.1890 (Teil 2)

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Michel, Émile: Le musée de Brunswick, [2]
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https://doi.org/10.11588/diglit.25870#0236

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LE MUSEE DE BRUNSWICK.

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est d’un aspect moins farouche et il s’apprête fort paisible-
ment à déguster un verre de liqueur. L’action n’a rien
d’héroïque et ne comporte pas grand style; et cependant,
à force de talent et de conscience, le peintre a su éviter ce
qu’il pouvait y avoir d’un peu vulgaire dans une telle
donnée.

Malheureusement, il y a lieu de contester le plus inté-
ressant des deux portraits qui figurent à Brunswick sous
le nom de Rubens, celui du marquis de Spinola. Non que
l’œuvre soit, de tout point, indigne du maître. Le costume
est magnifique et admirablement traité; les gris et l’or de
l’armure de parade du général espagnol forment, avec les
rouges de son écharpe et des plumes de son casque, une
harmonie d’un goût superbe. Mais les mains sont molles
et le visage lui-même n’a pas la décision que Rubens y
aurait mise. Le tableau de Brunswick est une répétition,
faite probablement sous les yeux du peintre, et qui, avec
quelques légères différences, reproduit le beau portrait
qu’on voit à Prague dans la collection du comte Nostitz1
et que Rubens a peint au moment de sa mission à Madrid,
en 1628. En revanche, l'autre portrait 2, celui d’un person-
nage inconnu, entièrement vêtu de noir, — un homme
déjà chauve, au nez large et écrasé, au regard dur, à la
physionomie un peu farouche, et dont une large fraise
blanche encadre le visage coloré, — est bien tout entier
de la main du maître. La simplicité de la pose et la fran-
chise de l’aspect sont excellentes et l’individualité de
l’expression se trouve caractérisée en quelques traits par
des indications aussi larges que justes.

A défaut de Van Dyck, qui n’est représenté ici que par
des études et des peintures faibles ou douteuses, un artiste
qui partagea avec lui l’honneur d’être attaché à la cour de
Charles Ier, Jansen van Ceulen, dans les charmantes
images de deux époux, images revêtues toutes deux de sa
signature et de la date 1655, nous montre cette distinction
et cette grâce un peu maniérées qui prêtent à tous ses por-
traits je ne sais quel air de similitude. Leur complexion
est plus délicate que forte et ils ont dans le regard la viva-
cité touchante et un peu fiévreuse des êtres maladifs.
Même lorsqu’il a pour modèles ses compatriotes, il semble
que le maître se plaise à leur donner une physionomie
britannique. Mais, chez lui, la délicatesse du coloris, la
facture irréprochable, l’habile finesse du modelé, sont d’un
artiste accompli, et quand on a vu le magnifique portrait
de femme du Musée de Carlsruhe 3, si avenant malgré son
costume sévère, avec sa bouche aimable et son regard doux
et velouté, on comprend la faveur dont, pendant plus de
trente ans, Van Ceulen a joui à la cour d’Angleterre.

Il nous faut, avant d’épuiser l’école flamande, descendre
maintenant dans la hiérarchie des genres jusqu’à Teniers,
dont un Alchimiste et surtout une Boutique de barbier
nous font reconnaître le fin pinceau et la verve spirituelle.
Le client du barbier, c’est, ici, un maître chat, auquel un
singe, en Figaro consommé, s’applique gravement à cou-
per les moustaches. Dans le fond, d’autres singes vaquent
à leurs occupations ou se rendent mutuellement quelques-
uns de ces services intimes auxquels ces animaux semblent
prendre un plaisir particulier. On imagine aisément les
mines plaisantes du personnel qui remplit cette officine et
le contraste comique qu’offrent, sur ces faces simiesques,
des expressions qu’on n’est habitué à trouver que chez
l’homme; innocente apparition d’un darwinisme anticipé
dont Teniers, à la suite des sculpteurs et des miniaturistes
du Moyen-Age1, a repris la tradition et dont Chardin et,

1. Dans l’original de Prague, au lieu des manches en étoffe grise
brodée, les bras sont aussi couverts par l’armure.

2. Musée de Brunswick, n° 104.

3. Musée de Carlsruhe, n° 478.

4. C est ainsi qu on trouve à la bibliothèque de Munich, dans

plus récemment encore, Decamps et Ph. Rousseau
devaient continuer la plaisanterie. Aussi bien, entre les
singes de Teniers et ses Magots, le choix serait parfois
difficile et on hésiterait à se prononcer.

Les Hollandais n’ont guère été mieux traités par
quelques-uns de leurs peintres. Brauwer ne les a jamais
flattés, et ce n’est pas chez Ostade qu’on se ferait une bien
haute idée de leur tournure et de leurs habitudes. Il
semble, en revanche, qu’un peintre un peu moins en vue,
Quirin Brekelenkam, se soit proposé de les réhabiliter.
Par malheur, il est inégal, et si, dans ses meilleures
œuvres, la largeur et la sobriété qui le caractérisent n’ex-
cluent ni la finesse de ton, ni la délicatesse de l’expression,
trop souvent aussi il est lourd, terne et un peu gauche.
Malgré tout, nous comprenons les sympathies qu’il peut
inspirer, tant il est honnête et sincère dans ses visées. Le
monde qu’il fréquente est bien humble; c’est chez des
paysans ou de petits bourgeois qu’il nous mène; mais, à
force d’entrer dans leur intimité, il a su nous intéresser à
eux. Enfin, voilà des gens qui font autre chose que boire,
crier, se battre... et le reste. Ce sont des hommes et non
plus des butors ou des ivrognes. Leur vie se passe dans
des intérieurs modestes ; mais cette pauvreté-là n’a rien de
honteux, et nous pouvons, sans être scandalisés, étudier
l’emploi de leurs journées. Les soins du ménage, la toi-
lette des enfants, les apprêts du repas, la prière qui le pré-
cède, ce repas lui-même pris à la table de famille, c’est là,
avec les travaux de toute nature, ce qui remplit les heures,
et en passant ainsi en revue la suite de ces occupations
domestiques, nous avons en même temps nommé quelques-
uns des tableaux de Brekelenkam, que nous avons pu
voir à Cassel, à Dresde, à Carlsruhe, à Brunswick même,
où nous trouvons, avec la belle signature du peintre et la
date de 1662, un couple de bonnes gens qui, pour suprême
distraction, semblent tout heureux de jouer aux cartes.

Nous savons assez qu’avec Steen il faut nous attendre
à une vie moins régulière. L’austérité n’est pas son fait et
les équivoques les plus grossières ne l’effraient pas. De
ses deux grands tableaux, la Signature du contrat est le
meilleur ; mais même en si décente cérémonie, et bien
qu’il se soit représenté lui-même tenant la plume comme
un parfait tabellion, Steen, le joyeux compère, ne peut
jusqu’au bout garder son sérieux. L’amoureux qui, la
main sur son cœur et les bras levés au ciel, semble mar-
cher au sacrifice, est tout à fait grotesque, et il y a là, dans
un coin, un tonnelier jovial qui, en montrant avec un
geste grivois les fiancés, hasarde nous ne savons quelle
vilaine plaisanterie que nous ne chercherons pas à com-
prendre.

Peut-être courrons-nous aussi quelque risque à nous
fourvoyer dans cet intérieur où, près d’une jeune femme
en toilette élégante, se trouve un homme déjà mûr qui, en
lui soulevant le bras, l’invite à boire, tandis qu’accoudé à
l’autre extrémité de la table qui les sépare, un troisième
personnage, pensif et morose, appuie la tête sur sa main.
Il a quelque raison d’être jaloux et la dame, en se prêtant
avec complaisance aux attentions du vieux galant, semble
vouloir le pousser à bout. Les petits yeux de cette femme
ont une étrange expression de défi et son rire moqueur
éclate comme une provocation. La Coquette, c’est ainsi
qu’est désigné le tableau, joue là un singulier jeu et qui
pourra peut-être la mener plus loin qu’elle ne compte. La
scène est piquante, un peu énigmatique et cependant indi-
quée avec une précision extrême et comme prise sur le
vif. Nulle pose, nulle trace d’arrangement; ces gens-là

les miniatures du Livre d’heures attribue’ à Memling, des singes
soignant leurs petits, les emmaillottant, leur donnant ia bouillie, à
la façon d’êtres humains.
 
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