Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

L' art: revue hebdomadaire illustrée — 16.1890 (Teil 2)

DOI Artikel:
Bosseboeuf, Louis-Auguste: Les sculptures de Solesmes et l'école de Tours, I-VII
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.25870#0242

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
212

L’ART.

question; « les consoles, perles, oves, vases, arabesques »,
que l’on signale pour établir un rapprochement entre les
sculptures de Solesmes et celles de Saint-Mihiel ou de
Léau, dans le Nord, sont la monnaie courante de la
Renaissance et ne sauraient aboutir à aucune conclusion
sérieuse, surtout en l’absence de tout document. Nous
sommes en présence d’une œuvre véritablement française
qui, sans offrir le cachet supérieur des travaux d’un Jean
Goujon ou d’un Germain Pillon, ouvre la voie à ces maitres
comme l’aube précède le jour. Adieu, la légende italienne !
adieu les hypothèses plus ou moins flamandes! salut au
ciseau français entre les mains d’artistes qui appartiennent
au centre de notre pays, bien plus, à la célèbre école de
Tours, dont le rayonnement a illuminé tout l’ouest de la
France et préparé l’âge d’or de la statuaire en deçà des
Alpes !

II

Tournons notre regard vers le transept méridional de
l’église. Le gros œuvre une fois achevé, on songea à
décorer cette partie par une sorte de chapelle à arcade
surbaissée, dont on aperçoit encore les traces dans la
muraille à droite; peut-être eut-elle son pendant dans le
bras nord, mais on n’en voit pas de vestige. Dans l’en-
foncement on plaça une Pietà en pierre sculptée et peinte
qui s’y trouve encore. C’est cet édicule qui probablement
a suggéré la pensée des intéressantes constructions édifiées
dans la suite. Devant nous s’ouvre une chapelle ou enfeu,
de 3m,85, dont l’ouverture est encadrée d’un portique
monumental, en forme de retable. Il est assis comme au
confluent de la Renaissance et du style gothique flam-
boyant ou tertiaire, qui va se perdre dans le puissant
courant artistique auquel l’avenir appartient. Le flam-
boyant a laissé sa trace sur les arcades et leurs moulures
prismatiques, sur les arcatures trilobées, les pinacles à
crosses végétales, ainsi que dans les guirlandes de char-
dons qui courent sur les frises; la Renaissance commence
à poindre dans les rinceaux, encore un peu épais, des deux
pilastres d’angle, et surtout dans la façon dont sont trai-
tées les statues qui décorent l’édifice, notamment dans le
magnifique groupe de VEnsevelissement du Christ. Notre
but n’est pas de décrire ces « figures », si intéressantes
soient-elles : nous renvoyons à cet égard aux notices qui
ont été publiées jusqu’à ce jour 1 ; nous nous bornerons à
signaler les détails utiles à notre sujet.

Au-dessus d’un tombeau en pierre, — toute la statuaire
de l’église est en belle pierre de tuffeau — qui est orné de
deux têtes de lions avec des anneaux brisés, le Christ, au
profil harmonieux, repose sur un suaire dont les extrémi-
tés sont tenues par Joseph d’Arimathie, en robe de velours
damassé avec camail de pèlerin et aumônière, et par Nico-
dème, en costume de gentilhomme, la tête couverte d’une
casaque, vêtu d’une robe richement bordée et portant au
cou les insignes d’un ordre de chevalerie qui se composent
d’un collier, terminé par deux cœurs actuellement frustes.
Au fond, se tient debout la Vierge, au visage empreint
d’une morne tristesse et soutenue par saint Jean, qui est à
sa droite : 1 un et l’autre d’un beau profil. Près de ce
dernier, un personnage porte un vase tandis que, de
1 autre côté, sont deux femmes, également tournées vers
le Christ, dont l’une a les maintes jointes et l’autre tient
un vase à parfums. Enfin, sur le devant et à gauche, abîmée
dans une méditation pleine d’angoisse contenue, Madeleine
est assise sur un rocher, les coudes appuyés sur les
genoux, son manteau ramené sur l’extrémité des jambes

i. D. Guéranger, Essai historique sur l’abbaye de Solesmes. —
E. Cartier, les Sculptures de Solesmes. — D. Guépin, Description
des églises abbatiales de Solesmes.

et ayant devant elle le vase traditionnel rempli de parfums.
Aux deux côtés de l’arcade se tiennent deux soldats, cou-
verts d’une riche armure à l’antique, et dont les bras sont
coupés et les traits mutilés. Nous n’oserions dire avec un
écrivain que ce vandalisme est le fait de villageois de
Solesmes, « qui, dans leur pieuse et naïve indignation,
auraient cherché à venger de leur mieux, sur les deux
satellites chargés de garder le tombeau, les outrages et la
mort soufferts par le Sauveur ».

Soit que l’on considère les angelots qui, dans l’inté-
rieur de la grotte, soutiennent les instruments de la
Passion, ou les anges de grande dimension qui paraissent
à la partie supérieure du monument; soit que l’on porte
les yeux au sommet, sur les deux larrons liés — le mot est
exact — à de hautes croix de bois; soit qu’enfin l'on arrête
le regard sur le groupe principal pour étudier avec soin
la perfection de l’ensemble et le fini des détails, en les
comparant avec les motifs du tombeau de François II,
duc de Bretagne, dans la cathédrale de Nantes, il est diffi-
cile de ne pas reconnaître qu’il s’agit ici d’une œuvre du
célèbre sculpteur tourangeau Michel Colombe. Cette con-
viction acquiert encore plus de poids, si l’on examine
l’attitude et la physionomie si pleine de sincérité des per-
sonnages et les draperies dans lesquelles le ciseau s’est
joué, comme à plaisir, avec les ornements les plus variés.
Fixez, par exemple, votre attention sur les broderies dont
l’artiste a orné les vêtements de tous les acteurs de cette
scène, sur la riche armure des soldats, sur la casaque fine-
ment brodée de Nicodème, sur la tunique des saintes
femmes et de saint Jean; laissez vos yeux, pour ne pas
dire vos doigts, caresser doucement les broderies qui
recouvrent complètement la robe, l’aumônière et le camail
de Joseph d’Arimathie, ainsi que celles du manteau de la
Vierge où les palmes et les œillets s’enroulent avec tant de
grâce; ne négligez même pas la bordure de tresses et la
série de capitales fleuries qui, par manière d’ornement et
non de signature comme on l’a prétendu, agrémentent la
ceinture de Joseph, le fourreau d’épée du soldat de droite
(nous parlons toujours au sens de l’objet et non du specta-
teur) et surtout la bordure entière du manteau de la
Vierge : alors votre conviction acquerra le plus haut degré
de probabilité.

Pourtant, je veux que cette persuasion gagne encore
d’intensité : gardez bien dans la rétine de vos yeux— c’est
chose facile — le dessin tout particulier des broderies aussi
bien que le pli des vêtements et le caractère des traits ; puis
allez au pied de la statue de saint Pierre, que nous avons
saluée en entrant avec l’intention d’y revenir. Ce vieillard,
à la taille de i m. 6o cent., à la barbe et à la chevelure
frisées conformément à la tradition, la tête surmontée
d’une tiare à trois couronnes, bénissant de la main droite
qui est ornée de deux anneaux, et, de la gauche, tenant une
double clef, est celui qui va nous livrer la clef de l’énigme
que l’on cherche depuis longtemps et dont le secret a
embarrassé tant d’archéologues. Les broderies qui ornent
une partie du bord antérieur de la robe (que conserve
encore le clergé anglais), et surtout celles qui recouvrent
toute la surface de la tunique, sont absolument identiques,
pour le choix, l’exécution et le développement des motifs,
aux dessins que nous avons remarqués sur les vêtements
des personnages de la Mise au tombeau; en outre, la
chape est bordée d’une large tresse que l’on retrouve au
vêtement de Joseph d’Arimathie; enfin, elle porte un
ornement qui lui est propre, je veux dire les orfrois d’une
délicatesse achevée. Nous étudierons ceux-ci avec un soin
d’autant plus religieux qu’ils contiennent la réponse
péremptoire à la question qui nous préoccupe L

i. L’arcade, sous laquelle est saint Pierre, a e'te' e'difie'e en 1870
 
Annotationen