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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 16.1890 (Teil 2)

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Audebrand, Philibert: Pages d'histoire contemporaine: les salonniers depuis cent ans
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https://doi.org/10.11588/diglit.25870#0270

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L’ART.

sur lui de prononcer une sentence assume la plus redoutable des responsabilités. Dans certains
cas, lorsqu’il y a de sa part injustice flagrante, si la vindicte des lois ne l’atteint pas, il est puni
par sa conscience. J’ai connu un magistrat, un juge d’instruction, qui, à la suite d’une méprise
judiciaire, est devenu fou à lier. Porteur d’un beau nom, il achève en ce moment sa vie dans
une maison de santé. Tout Paris a entendu parler d’un autre personnage, d’un président de
chambre sous Napoléon III, qui, écrasé par le poids de ses remords, s’est tué lui-même d’un
coup de revolver, au lendemain du 4 septembre. Hélas ! juger en matière d’art, c’est porter
d’une main une couronne et avoir de l’autre un glaive. Le Christ de Michel-Ange, au jour du
jugement dernier, s’adresse aux pâles troupeaux des hommes que vient de réveiller en sursaut la
trompette de l’Ange, et, en les voyant secouer leur linceul, il leur dit : « Elus, venez vous asseoir
à ma droite » ; et aux autres : « Damnés, précipitez-vous dans les abîmes ». C’est encore- un
peu cela qui se passe, tous les ans, entre les organes de la presse et ceux qui exposent des
œuvres d’art. On trouvera peut-être que la comparaison est trop pompeuse; néanmoins, si l’on
veut réfléchir à tout ce qu’il y a de pénible et souvent de mélodramatique dans la vie d’artiste,
on reconnaîtra que ces assimilations n’ont rien d’outré. Très réellement un Salonnier en renom
distribue, à la manière d’un dieu, la gloire et le dédain, la réputation et l’oubli, la vie et la
mort. C’était ce que Mme Emile de Girardin cherchait à mettre en scène dans l’Ecole des Jour-
nalistes, une comédie en vers très satiriques contre les gens de presse et que M. Thiers, ancien
feuilliste, alors ministre de Louis-Philippe, n’a pas voulu laisser jouer au Théâtre-Français. Nous
savons tous qu’il y est fait allusion à un épisode des plus tragiques : le baron Gros, l’illustre
auteur des Pestiférés de Jaffa, y est représenté comme se noyant dans la Seine, à cause d’un
cruel article de journal qui lui reprochait de n’avoir plus qu’un talent passé de mode.

Mais, entre nous soit dit, de nos jours, dès qu’il s’agit d’une Exposition annuelle, on n’y
met plus tant de sérieux. Si l'on en excepte cinq ou six écrivains un peu graves, on voit le plus
grand nombre des censeurs se jeter étourdiment sur une plume; ils brochent alors sur les
œuvres exhibées un article avec autant de légèreté que tels et tels feuilletonistes en mettent à
disséquer un vaudeville du Palais-Royal ou à constater ce qu’un roman de M. Emile Zola peut
avoir dans les entrailles. De là des conséquences souvent funestes. Denis Diderot, le premier en
date des Salonniers, n’eût pas manqué de donner sur les doigts à ces éventés. Et, en effet, si
l’on devait en croire ce maître des maîtres, pour bien juger en peinture, en sculpture, en
gravure, en tout art plastique, il faut avoir sur les épaules une tête d’encyclopédiste. Il est
essentiel de tout savoir ou, pour le moins, on devrait avoir tout étudié. On est en droit d’exiger
de vous que vous soyez philosophe, écrivain, poète et artiste à la fois. Comment oserez-vous
porter un jugement sur Léonard de Vinci si vous ne savez pas vivre par la pensée sous la
Renaissance comme ce prodigieux génie ? De quelle façon apprécierez-vous le Titien si vous ne
savez pas l’histoire ? Que direz-vous de Ruysdael si vous n’entendez rien à la botanique et de
Canova si vous n’avez pas étudié l’anatomie ? Non, il n'est pas de plus lourde tâche à entre-
prendre que celle de critique d’art et, pourtant, j’y reviens, rien n’est comparable au puéril
empressement qu’on met chez nous, depuis cent ans, à s’improviser en faiseur de comptes rendus.
Il se produit, du reste, à ce sujet des confusions de tout genre. Qui ne se croit pas propre à
être Salonnier? Durant ma longue carrière d'homme de presse, de 1840 jusqu’à nos jours, il m’a
été donné de rencontrer, à travers les journaux de tout acabit, mille et un oiseaux des plumages
les plus divers et souvent les plus opposés entre eux. Une fois, c’était un échappé de la Sorbonne,
essayant du métier sous prétexte qu’il n’est pas de composition picturale qui ne confine à la
psychologie. Un autre jour, c'était un homme du monde prétendant qu’il n’y avait qu’un élégant
pour décider de la coupe des habits et des bonnes formes. Un ancien loup de mer disait, sans
broncher : « Qui est-ce qui verra bien les ciels et les couleurs changeantes des océans, si ce
n’est moi? » Il y avait aussi d’ex-apprentis peintres. Plus de dix, à ma connaissance, étaient des
concurrents malheureux au grand prix de Rome, tranchons le mot, des Ratés. J’y ai vu aussi
l’irréductible bataillon des amateurs riches, qui, parce que le sort leur avait donné le moyen de
s’acheter une galerie, trouvaient dans ce fait le droit de couronner ou de rejeter, le droit de
 
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