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Lotharingico et Germanico conflatum in usu. A la lettre cela voudrait
dire qu’il s’était formé là un idiome composite, tel que la langue anglaise;
mais c’est plutôt que les deux langues se parlaient l’une à côté de l’autre,
non sans quelque mélange. Schœpflin écrivait en 1761: cette année est
celle de la naissance de ma grand-mère, à laquelle, étant garçon de
10 ans, j’ai souvenance d’avoir ouï dire que du temps de sa jeunesse le
langage à Thannenkirch était français. Mais le français y était maintenant
ignoré; il avait achevé de mourir dans le cours de la Révolution, de
l’Empire au plus tard. L’école du village était purement allemande,
comme partout en Alsace avant la loi de 1833, qui, par une mesure géné-
rale, inscrivit la langue française au nombre des matières d’enseignement.
Sous la Restauration encore, plus d’un maître d’école alsacien n’en savait
pas un mot. Pour ce qui est du cas singulier de germanisation que je
viens de décrire, les autorités de l’ancien régime n’en avaient pris aucun
souci. En ce temps là on laissait les choses à leur cours naturel et les
populations à leurs préférences; on ne croyait pas, du moins en France,
que la grandeur de l’État et l’attachement des sujets dépendissent de
leur façon de s’exprimer. Par contre, jamais il ne s’est vu autant de choses
obligatoires, autant d’ingérence de l’État dans la vie privée que dans
notre siècle de libéralisme. Quoiqu’il en soit, ce point était curieux à
noter, que les gens de Thannenkirch, étant allemands, parlaient français,
et que, devenus français, ils se sont trouvés parler allemand.
Gomme dernier vestige une coutume atteste encore les origines et les
anciennes conditions de Thannenkirch. C’est, à la Sainte-Anne, l’affluence
des pèlerins de langue française, venus d’au-delà des monts, pendant que
cette solennité laisse indifférente la population du vignoble, où c’est
l’allemand qui est parlé. Longtemps on a prêché ce jour là un sermon
français, usage qui fut abandonné, on ne voit pas pourquoi, vers 1865.
On pourrait, pour clore l’histoire de Thannenkirch, rapporter un fait
qui lui serait d’assez grand honneur, à le supposer bien authentique. On
le racontait jadis à Bergheim; le souvenir en est aujourd’hui perdu. En
1814, à la suite de l’engagement où les dragons d’Espagne maltraitèrent
si fort les cosaques dans la forêt de Sainte-Croix, la cavalerie française
s’étant repliée pour rejoindre Napoléon sur la Marne, les cosaques s’avan-
cèrent jusqu’à Bergheim, et de là se portèrent vers Thannenkirch. Mais les
habitants, groupés au haut de l’escarpement qu’il faut gravir pour aborder
le village, et armés à leur manière, auraient intimidé les envahisseurs et
leur fait tourner bride.
B. XX. — (M.)
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Lotharingico et Germanico conflatum in usu. A la lettre cela voudrait
dire qu’il s’était formé là un idiome composite, tel que la langue anglaise;
mais c’est plutôt que les deux langues se parlaient l’une à côté de l’autre,
non sans quelque mélange. Schœpflin écrivait en 1761: cette année est
celle de la naissance de ma grand-mère, à laquelle, étant garçon de
10 ans, j’ai souvenance d’avoir ouï dire que du temps de sa jeunesse le
langage à Thannenkirch était français. Mais le français y était maintenant
ignoré; il avait achevé de mourir dans le cours de la Révolution, de
l’Empire au plus tard. L’école du village était purement allemande,
comme partout en Alsace avant la loi de 1833, qui, par une mesure géné-
rale, inscrivit la langue française au nombre des matières d’enseignement.
Sous la Restauration encore, plus d’un maître d’école alsacien n’en savait
pas un mot. Pour ce qui est du cas singulier de germanisation que je
viens de décrire, les autorités de l’ancien régime n’en avaient pris aucun
souci. En ce temps là on laissait les choses à leur cours naturel et les
populations à leurs préférences; on ne croyait pas, du moins en France,
que la grandeur de l’État et l’attachement des sujets dépendissent de
leur façon de s’exprimer. Par contre, jamais il ne s’est vu autant de choses
obligatoires, autant d’ingérence de l’État dans la vie privée que dans
notre siècle de libéralisme. Quoiqu’il en soit, ce point était curieux à
noter, que les gens de Thannenkirch, étant allemands, parlaient français,
et que, devenus français, ils se sont trouvés parler allemand.
Gomme dernier vestige une coutume atteste encore les origines et les
anciennes conditions de Thannenkirch. C’est, à la Sainte-Anne, l’affluence
des pèlerins de langue française, venus d’au-delà des monts, pendant que
cette solennité laisse indifférente la population du vignoble, où c’est
l’allemand qui est parlé. Longtemps on a prêché ce jour là un sermon
français, usage qui fut abandonné, on ne voit pas pourquoi, vers 1865.
On pourrait, pour clore l’histoire de Thannenkirch, rapporter un fait
qui lui serait d’assez grand honneur, à le supposer bien authentique. On
le racontait jadis à Bergheim; le souvenir en est aujourd’hui perdu. En
1814, à la suite de l’engagement où les dragons d’Espagne maltraitèrent
si fort les cosaques dans la forêt de Sainte-Croix, la cavalerie française
s’étant repliée pour rejoindre Napoléon sur la Marne, les cosaques s’avan-
cèrent jusqu’à Bergheim, et de là se portèrent vers Thannenkirch. Mais les
habitants, groupés au haut de l’escarpement qu’il faut gravir pour aborder
le village, et armés à leur manière, auraient intimidé les envahisseurs et
leur fait tourner bride.
B. XX. — (M.)
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