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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
le texte du contrat qui est du 10 août 1453 : le dernier payement eut
lieu le 18 novembre 1454. Cette fois nous avons mieux que les écritures
d’un comptable : nous sommes en présence d’une réalité. L’œuvre
n’est point perdue : le retable placé il y a plus de quatre siècles sur un
des autels de Sainte-Justine, c’est le Saint Luc de la galerie Brera.
Au moment où Brandolèse publiait son volume sur les peintures
de Padoue, le tableau de Mantegna n’était plus dans l’église : il avait
été transporté dans le logement du révérendissime abbé qui, pour se
distraire, s’était constitué un petit musée personnel. C’est là que les
Français le prirent en 1797 pour l’envoyer à Milan.
L’œuvre est bien connue. C’est un véritable polyptyque, dont la
construction générale rappelle encore l’ancienne mode. Le retable
— on ne peut guère dire la composition — est divisé en douze
compartiments disposés de façon à présenter à l’œil l’effet de deux
étages. Dans la rangée supérieure, le groupe central nous montre
le Christ debout dans le tombeau et entouré de saint Jean et de la
Vierge pleurante, motif cher aux artistes du nord de l’Italie, car on
le retrouve dans l’un des dessins de Jacopo Bellini achetés par le
Louvre en 1884. Quatre saints, vus à mi-corps, occupent les compar-
timents latéraux. Au premier étage de VAncona, on voit saint Luc
assis et écrivant. L’évangéliste, en l’honneur duquel le tableau avait
été peint, est plus grand que les figures qui habitent les autres pan-
neaux. Ces figures, immobiles dans leur rigide attitude, sont celles
de saint Benoît, de saint Prosdocime, de sainte Justine et de sainte
Scholastique. Sauf le groupe du Christ émergeant à demi du sépulcre
et la figure de saint Luc qui ne rédige pas l’Evangile sans une sorte
d’agitation intérieure, l’œuvre est calme, religieuse, traditionnelle.
Ce résultat est dû en grande partie à l’emploi des fonds d’or et à
la disposition, pour ainsi dire architecturale, que Mantegna a choisie :
cette disposition, qui place chaque personnage sous l’arc d’une ogive,
l’artiste l’a adoptée, un peu parce qu’il aimait le bas-relief où les
figures sont isolées dans des niches, beaucoup parce que, au moment
où son affranchissement intellectuel était encore si imparfait, il
subissait le despotisme des formes gothiques dont il voyait autour
de lui tant d'exemples.
Le rapprochement des dates nous dit ici que Mantegna n’avait pu
voir sans en être impressionné le tableau à compartiments qu’An-
tonio et Bartolommeo Vivarini venaient de peindre (1451) pour
l’église San-Francesco à Padoue. Les bénédictins de Sainte-Justine le
lui avaient peut-être indiqué comme un modèle dont il devait s’ins-
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
le texte du contrat qui est du 10 août 1453 : le dernier payement eut
lieu le 18 novembre 1454. Cette fois nous avons mieux que les écritures
d’un comptable : nous sommes en présence d’une réalité. L’œuvre
n’est point perdue : le retable placé il y a plus de quatre siècles sur un
des autels de Sainte-Justine, c’est le Saint Luc de la galerie Brera.
Au moment où Brandolèse publiait son volume sur les peintures
de Padoue, le tableau de Mantegna n’était plus dans l’église : il avait
été transporté dans le logement du révérendissime abbé qui, pour se
distraire, s’était constitué un petit musée personnel. C’est là que les
Français le prirent en 1797 pour l’envoyer à Milan.
L’œuvre est bien connue. C’est un véritable polyptyque, dont la
construction générale rappelle encore l’ancienne mode. Le retable
— on ne peut guère dire la composition — est divisé en douze
compartiments disposés de façon à présenter à l’œil l’effet de deux
étages. Dans la rangée supérieure, le groupe central nous montre
le Christ debout dans le tombeau et entouré de saint Jean et de la
Vierge pleurante, motif cher aux artistes du nord de l’Italie, car on
le retrouve dans l’un des dessins de Jacopo Bellini achetés par le
Louvre en 1884. Quatre saints, vus à mi-corps, occupent les compar-
timents latéraux. Au premier étage de VAncona, on voit saint Luc
assis et écrivant. L’évangéliste, en l’honneur duquel le tableau avait
été peint, est plus grand que les figures qui habitent les autres pan-
neaux. Ces figures, immobiles dans leur rigide attitude, sont celles
de saint Benoît, de saint Prosdocime, de sainte Justine et de sainte
Scholastique. Sauf le groupe du Christ émergeant à demi du sépulcre
et la figure de saint Luc qui ne rédige pas l’Evangile sans une sorte
d’agitation intérieure, l’œuvre est calme, religieuse, traditionnelle.
Ce résultat est dû en grande partie à l’emploi des fonds d’or et à
la disposition, pour ainsi dire architecturale, que Mantegna a choisie :
cette disposition, qui place chaque personnage sous l’arc d’une ogive,
l’artiste l’a adoptée, un peu parce qu’il aimait le bas-relief où les
figures sont isolées dans des niches, beaucoup parce que, au moment
où son affranchissement intellectuel était encore si imparfait, il
subissait le despotisme des formes gothiques dont il voyait autour
de lui tant d'exemples.
Le rapprochement des dates nous dit ici que Mantegna n’avait pu
voir sans en être impressionné le tableau à compartiments qu’An-
tonio et Bartolommeo Vivarini venaient de peindre (1451) pour
l’église San-Francesco à Padoue. Les bénédictins de Sainte-Justine le
lui avaient peut-être indiqué comme un modèle dont il devait s’ins-