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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
chefs-d’œuvre. Non, mais l’cdgle dans l’œuf m’intéresse plus que celui qui
ré atteint pas jusqu’au plus haut des nues... J’ai quitté pour un moment les
larmes, je fais du folichon. Collot1 cependant, que j’ai vu à sa campagne,
qui est fort belle et où je me suis fort diverti, me demande son tableau.
Il me faudra donc me remettre au sentiment. Mes tableaux haussent. Un
que j’ai fait pour soixante francs vient d’être vendu mille ! Aussi, on
vient; mais je ne les laisse pas partir, non à un prix aussi élevé,
mais au moins raisonnable... »
Vers la même date, il se plaint un peu amèrement de ne pas rece-
voir de nouvelles de lui, et il ajoute : « Vous vous livrez à de nouvelles
amitiés; c’est bien, si elles sont bonnes et sincères; si pourtant votre
moral retombait malade, venez me voir : j’aime à consoler les affligés. »
« Il m’est venu la fine fleur des marchands de tableaux, écrit-il le
20 juin 1852. Oui, il paraît qu’on commence à vouloir de moi. Il me semble
que je vous dois cette bonne fortune. »
30 octobre 1853. — « ... Je suis retenu à Paris par des peines non
arrivées à moi mais à plus pauvre que moi, et j’ai une diable de sensi-
bilité cqui toujours m’attache au malheur... Un de mes amis me dit que
le travail de votre ami M. Cabanel est fort beau, et je le crois sans
peine... »
Le 2 janvier 1854, écoutons-le étaler naïvement sa gourmandise,
en remerciant d’un envoi M. Bruyas qui connaissait ses goûts : « Ces
magnificences de fruits glacés de toutes sortes, cet étalage pompeux
pour les yeux et ravissant pour le goût, ces figues, ces oranges, ces
ananas, etc., etc., le tout entouré de sucre, qui, brisés, ruissellent
dans la bouche des flots de miel, tout cela caresse, anime et emporte
au septième ciel. Jamais saint Antoine n’eut de pareilles visions,
autrement il y eût porté la main. Heureusement ce n’est pas le diable
qui me les envoie, mais un bon ange, ou mieux un excellent ami... A
Paris, les amitiés sont diablement viciées; ce sont combats de tous les
jours qui détruisent bien des illusions... Mes petits intérêts, ébranlés
un moment, se rassurent. J’ai toujours bon courage. »
M. Bruyas lui ayant adressé des photographies de divers tableaux
de sa galerie, Tassaert lui répond le 9 janvier 1854 : « Par cet
envoi je connais votre admirable portrait de Courbet et ses deux
baigneuses. C’est un vigoureux artiste que ce gaillard-là. l’ai aussi revu
avec plaisir votre portrait si bien rêveur d’Eugène Delacroix2... »
1. Un autre admirateur de Tassaert.
2. Ces trois tableaux sont au Musée de Montpellier (galerie Bruyas). Les
Baigneuses de Courbet sont celles du Salon de 1853.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
chefs-d’œuvre. Non, mais l’cdgle dans l’œuf m’intéresse plus que celui qui
ré atteint pas jusqu’au plus haut des nues... J’ai quitté pour un moment les
larmes, je fais du folichon. Collot1 cependant, que j’ai vu à sa campagne,
qui est fort belle et où je me suis fort diverti, me demande son tableau.
Il me faudra donc me remettre au sentiment. Mes tableaux haussent. Un
que j’ai fait pour soixante francs vient d’être vendu mille ! Aussi, on
vient; mais je ne les laisse pas partir, non à un prix aussi élevé,
mais au moins raisonnable... »
Vers la même date, il se plaint un peu amèrement de ne pas rece-
voir de nouvelles de lui, et il ajoute : « Vous vous livrez à de nouvelles
amitiés; c’est bien, si elles sont bonnes et sincères; si pourtant votre
moral retombait malade, venez me voir : j’aime à consoler les affligés. »
« Il m’est venu la fine fleur des marchands de tableaux, écrit-il le
20 juin 1852. Oui, il paraît qu’on commence à vouloir de moi. Il me semble
que je vous dois cette bonne fortune. »
30 octobre 1853. — « ... Je suis retenu à Paris par des peines non
arrivées à moi mais à plus pauvre que moi, et j’ai une diable de sensi-
bilité cqui toujours m’attache au malheur... Un de mes amis me dit que
le travail de votre ami M. Cabanel est fort beau, et je le crois sans
peine... »
Le 2 janvier 1854, écoutons-le étaler naïvement sa gourmandise,
en remerciant d’un envoi M. Bruyas qui connaissait ses goûts : « Ces
magnificences de fruits glacés de toutes sortes, cet étalage pompeux
pour les yeux et ravissant pour le goût, ces figues, ces oranges, ces
ananas, etc., etc., le tout entouré de sucre, qui, brisés, ruissellent
dans la bouche des flots de miel, tout cela caresse, anime et emporte
au septième ciel. Jamais saint Antoine n’eut de pareilles visions,
autrement il y eût porté la main. Heureusement ce n’est pas le diable
qui me les envoie, mais un bon ange, ou mieux un excellent ami... A
Paris, les amitiés sont diablement viciées; ce sont combats de tous les
jours qui détruisent bien des illusions... Mes petits intérêts, ébranlés
un moment, se rassurent. J’ai toujours bon courage. »
M. Bruyas lui ayant adressé des photographies de divers tableaux
de sa galerie, Tassaert lui répond le 9 janvier 1854 : « Par cet
envoi je connais votre admirable portrait de Courbet et ses deux
baigneuses. C’est un vigoureux artiste que ce gaillard-là. l’ai aussi revu
avec plaisir votre portrait si bien rêveur d’Eugène Delacroix2... »
1. Un autre admirateur de Tassaert.
2. Ces trois tableaux sont au Musée de Montpellier (galerie Bruyas). Les
Baigneuses de Courbet sont celles du Salon de 1853.