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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2. Pér. 33.1886

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Nr. 3
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Mantz, Paul: Andrea Mantegna, 2
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https://doi.org/10.11588/diglit.19427#0218

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ANDREA MANTEGNA.

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et au bas du trône : ils ont la bouche ouverte, et ils chantent. On
connaît ces tètes rondes de Mantegna, ces visages un peu joufflus qui
rappellent les types chers à Donatello. Il y a dans toute cette partie du
tableau une grande recherche du luxe décoratif, un soin merveilleux
pour le détail, et sur les physionomies une sorte de tendresse austère.

La prédelle est conçue dans une autre sentiment. Mantegna n’a
voulu y introduire que des scènes douloureuses : les deux panneaux
conservés à Tours sont d’une tonalité énergique et d’une exécution
assez farouche. Quant au panneau central, le Calvaire, c’était un des
plus beaux compartiments du polyptyque sottement découpé. Que
dis-je? c’est un des plus beaux tableaux du monde. Le xve siècle y a
mis son âme, et l’œuvre nous révèle un maître qu’on ne devine pas,
même aux Eremitani, un Mantegna passionné et tragique.

Le Christ est crucifié entre les deux larrons. A droite, deux
cavaliers et des soldats jouant aux dés; à gauche, le groupe émou-
vant formé de la Vierge, de saint Jean et des saintes femmes. La
scène se passe dans un paysage très particulier. Le ciel bleu est par-
semé de ces flocons blancs que Mantegna semble heureux de mêler à
son azur. Au fond, Jérusalem, des rochers, une montagne patiemment
bâtie au moyen d’assises superposées, comme celle qu’on voit aux
Eremitani dans la Décollation de saint Jacques. Ce système de construc-
tion ajoute au paysage une sorte d’élément architectural.

Dans la prédelle du retable de San-Zeno, tout révèle une œuvre
contemporaine des fresques de Padoue. C’est le même style et la même
fermeté. Il y a cependant au tableau du Louvre quelque chose de
plus : il y a le sentiment dramatique avec lequel la Vierge succombe
à sa douleur entre les bras des femmes qui l’accompagnent, le geste
désespéré du disciple, et aux visages des témoins émus par l’affreux
spectacle, ces yeux que les larmes ont rougis, ces bouches ouvertes
et convulsées, cette recherche de l’expression qui sont comme le
commencement d’une école, car Cosimo Tura, Crivelli et les imita-
teurs viendront bientôt, et ils exagéreront l’accent pathétique en le
poussant jusqu’à la grimace. Dans cette peinture du Calvaire, un des
plus précieux monuments de l’histoire de l’art, Mantegna est le
maître du sanglot. Il invente ou du moins il retrouve le cri tragique,
le cri déchirant qui éveille au profond des âmes l’angoisse du frisson
fraternel.

PAUL MANTZ.

(La suite prochainement.)

xxxin — 2° période.

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