216
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
salle dont le modèle se voit encore dans les ruines de Pompéi. La
femme, qui s’étire au premier plan, personnifie tout à fait le talent de
Chassériau arrivé à la maturité, de même que la Suzanne au bain,
aujourd’hui accrochée dans les galeries du Louvre, donne la meilleure
idée de son talent naissant. On peut rapprocher pour les comparer le
printemps et l’été. La baigneuse du Tepidarium est remarquable à la
fois par la justesse du dessin, par l’observation du mouvement et par
l’exécution des chairs. Si l’on passe à l’ensemble du tableau, on est
frappé ici, comme dans toutes les autres compositions, de l’art avec
lequel elles sont ordonnées. Rien n’est laissé au hasard, et pourtant
on reconnaît une vue générale et spontanée. Les personnages appa-
raissent aux regards dans une combinaison naturellement savante.
Chassériau devait avoir bien peu de modifications à apporter aux
groupes qu’il imaginait, aux alternatives d’ombre et de lumière qu’il
disposait en un clignement d’œil.
Je n’ai choisi dans l’œuvre de Chassériau que quelques tableaux
isolés pour donner une idée du caractère de son talent. Il faudrait un
catalogue considérable et une analyse raisonnée pour embrasser
l’œuvre tout entière. Les peintures décoratives y tinrent une grande
place. La chapelle de Sainte-Marie l’Egyptienne vient en tête, puisque
l’escalier de la Cour des comptes est détruit. Je dois mentionner
aussi ses jolis portraits à la mine de plomb et ses lithographies, dont
nos lecteurs trouveront ici quelques spécimens : notamment Apollon
et Daphné, qui est sa meilleure lithographie. Il avait composé une série
d’illustrations pour Othello, dont quelques-unes sont remarquables.
Deux églises encore renferment des décorations de Chassériau :
Saint-Roch et Saint-Philippe du Roule. Dans la première, en 1854, il
a décoré la chapelle des fonts baptismaux. Nous y voyons d’un côté le
Baptême de l’eunuque de la reine d’Éthiopie, une scène où il s’est livré à
ses fantaisies orientales. Le char de la reine, placé dans un coin, est
traîné par des chevaux blancs qui piaffent et se cabrent si bien qu’on
les regarde plus que le baptême. Saint-François-Xavier, sur l’autre
mur, baptise aussi dans l’extrême Orient, de sorte que les nouveaux
chrétiens ont la peau bronzée, des coiffures de toute nuance, autant de
prétextes à la couleur et au mouvement. Il est permis d’imaginer
un troisième baptême, car c’est là que Delacroix a tenu Chassériau
sur les fonts baptismaux.
Dans la coupole de Saint-Philippe, le filleul se souvient encore
du parrain, un peu trop chez les personnages secondaires; mais le
corps du Christ est un morceau bien personnel et de toute beauté.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
salle dont le modèle se voit encore dans les ruines de Pompéi. La
femme, qui s’étire au premier plan, personnifie tout à fait le talent de
Chassériau arrivé à la maturité, de même que la Suzanne au bain,
aujourd’hui accrochée dans les galeries du Louvre, donne la meilleure
idée de son talent naissant. On peut rapprocher pour les comparer le
printemps et l’été. La baigneuse du Tepidarium est remarquable à la
fois par la justesse du dessin, par l’observation du mouvement et par
l’exécution des chairs. Si l’on passe à l’ensemble du tableau, on est
frappé ici, comme dans toutes les autres compositions, de l’art avec
lequel elles sont ordonnées. Rien n’est laissé au hasard, et pourtant
on reconnaît une vue générale et spontanée. Les personnages appa-
raissent aux regards dans une combinaison naturellement savante.
Chassériau devait avoir bien peu de modifications à apporter aux
groupes qu’il imaginait, aux alternatives d’ombre et de lumière qu’il
disposait en un clignement d’œil.
Je n’ai choisi dans l’œuvre de Chassériau que quelques tableaux
isolés pour donner une idée du caractère de son talent. Il faudrait un
catalogue considérable et une analyse raisonnée pour embrasser
l’œuvre tout entière. Les peintures décoratives y tinrent une grande
place. La chapelle de Sainte-Marie l’Egyptienne vient en tête, puisque
l’escalier de la Cour des comptes est détruit. Je dois mentionner
aussi ses jolis portraits à la mine de plomb et ses lithographies, dont
nos lecteurs trouveront ici quelques spécimens : notamment Apollon
et Daphné, qui est sa meilleure lithographie. Il avait composé une série
d’illustrations pour Othello, dont quelques-unes sont remarquables.
Deux églises encore renferment des décorations de Chassériau :
Saint-Roch et Saint-Philippe du Roule. Dans la première, en 1854, il
a décoré la chapelle des fonts baptismaux. Nous y voyons d’un côté le
Baptême de l’eunuque de la reine d’Éthiopie, une scène où il s’est livré à
ses fantaisies orientales. Le char de la reine, placé dans un coin, est
traîné par des chevaux blancs qui piaffent et se cabrent si bien qu’on
les regarde plus que le baptême. Saint-François-Xavier, sur l’autre
mur, baptise aussi dans l’extrême Orient, de sorte que les nouveaux
chrétiens ont la peau bronzée, des coiffures de toute nuance, autant de
prétextes à la couleur et au mouvement. Il est permis d’imaginer
un troisième baptême, car c’est là que Delacroix a tenu Chassériau
sur les fonts baptismaux.
Dans la coupole de Saint-Philippe, le filleul se souvient encore
du parrain, un peu trop chez les personnages secondaires; mais le
corps du Christ est un morceau bien personnel et de toute beauté.