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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2. Pér. 33.1886

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Nr. 3
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Baignères, Arthur: Théodore Chassériau
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https://doi.org/10.11588/diglit.19427#0245

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218

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

d’entrer dans l’égdise de Saint-Philippe du Roule sans jeter un regard
sur la Descente de croix et sans qu’un trouble profond l’empêche pour
un moment de prier.

Cette coupole a pour moi un attrait particulier. C’est Chassériau
lui-même qui m’en fît les honneurs et qui me la montra en détail
alors que les échafaudages étaient encore posés. Il travaillait, si je
m’en souviens bien, au soldat qui tire au sort la robe du Christ.
Bien que peu partisan des résurrections à la mode, je fais comme les
autres et je raconte que Chassériau était laid de visage, mais qu’il
avait une physionomie frappante, des yeux saillants très noirs, un
front chauve, le nez retroussé et de grandes dents qui apparaissaient
à travers sa barbe noire. Il avait une manière de s’habiller fort
élégante, et au premier abord on reconnaissait l’homme de la meilleure
compagnie; cependant il avait dans le regard et dans la physionomie
quelque trait enflammé, à quoi on devinait l’artiste. Sa première
jeunesse s’était passée en Italie. Au retour, absorbé par ses travaux,
il avait peu goûté de la vie brillante de Paris ; mais ses succès ne
restèrent pas renfermés dans les ateliers, ils s’étendirent aux salons.
Les femmes furent un peu surprises de voir de si galantes manières
à celui dont elles avaient appris et dont elles retenaient le nom. Sa
profession n’était pas encore devenue celle de tous les héros de
roman. Il fut sensible aux succès du monde. Sa vie même en fut
troublée. D’une intelligence pénétrante et d’une nature passionnée,
il s’éprit de ce qui brillait et se laissa entraîner dans le tourbillon
de la société parisienne. L’art et le monde sont toujours difficiles
à mener de front; il succomba à la tâche et il mourut laissant le
souvenir d’un grand cœur. Parmi ses amis, un des plus illustres a
consacré à sa mémoire un monument touchant : Gustave Moreau a
peint un tableau qu’il a intitulé le Jeune homme et la Mort, délicate
allégorie, qui est aujourd’hui la propriété de M. Albert Cahen, le
musicien distingué. Si les souvenirs que les vivants gardent aux
morts leur parviennent par quelque voie mystérieuse, un des plus
doux pour Chassériau doit être cette peinture rare, éclairée par le jour
discret d’un salon. Dans cette chapelle improvisée ne voit-il pas réuni
ce qui a fait le rayonnement de sa vie : la beauté, le goût, l’esprit,
l’amitié et par-dessus tout : l’Art.

ARTHUR BAIGNERES.
 
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