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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2. Pér. 33.1886

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Nr. 5
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Durand-Gréville, Émile: Le commerce des tableaux et la vente Morgan: correspondance d'Amérique
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https://doi.org/10.11588/diglit.19427#0492

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CORRESPONDANCE D’AMÉRIQUE.

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chaumière qui lui sert de boutique est à droite, avec sa grande baie entourée
d’une treille. Le fond est une belle masse d’arbres sombres qui remplit la moitié
du champ du tableau; à travers les arbres et au-dessus d’eux, on voit un ciel
largement peint, rempli à gauche de nuages embrasés par un effet de soleil
couchant, tandis qu’à droite, plus dégagé et plus profond, il étend au loin sa
transparence ambrée, au sein de laquelle flottent de légères vapeurs d’or. Pourquoi
ce magnifique tableau n’a-t-il pas atteint le prix des deux autres? Peut-être parce
qu’il est plus beau que joli; peut-être aussi parce que ses dimensions (1 mètre
sur lm40) le rendaient plus difficile à placer dans une habitation moderne.

Parmi les sept Rousseau, il y en a trois ou quatre secondaires qui se sont
néanmoins très bien vendus. Le Mont Saint-Michel, une toute petite toile de
20 centimètres sur 30, grande plaine animée de quelques arbres et de quelques
figures, avec le mont Saint-Micliel à l’horizon, est un petit chef-d’œuvre de finesse
et d’effet lumineux; il a trouvé acquéreur au prix très respectable de 19,000 francs.
Le Jean de Paris, belle esquisse d’arbres qui avait fait partie de la collection Laurent-
Richard, est monté au chiffre un peu exagéré de 51,000 francs; le Crépuscule,
grande plaine avec deux arbres d’un noir velouté sur un ciel lourd, orageux et
dramatique, peut compter parmi les beaux ouvrages de Rousseau; il s’est vendu

81.000 francs, presque aussi cher qu’un Meissonier et qu’un... Vibert!

Onze Millet. Nous citerons non pas ceux qui se sont vendus le plus cher, mais
ceux qui ont le plus de valeur artistique. Qu’importe, en effet, qu’on ait payé

5.000 dollars une Apprêteuse de lin, peinture médiocre, probablement retouchée
par une main étrangère, ou 73,000 francs une grande Pileuse qui n’est qu’un
Millet secondaire; ou 21,000 francs une œuvre de jeunesse, Femmes nourrissant
des poules, où la lourdeur des ombres et la fausseté du geste montrent que Millet
tâtonnait et se trompait encore ! Mais sa Cueillette de pommes (13,000 francs) es.t
une jolie esquisse à l’huile, d’une couleur harmonieuse, avec plusieurs figures d’un
dessin sobre et d’un mouvement juste; sa Bergère entourée de moutons (8,000 francs),
un pastel de premier ordre; sa Cardeuse (19,000 francs), une superbe peinture
à peu près semblable à l’eau-forte qu’il avait faite sur le même sujet; sa Piécolte
des haricots (33,000 francs), une belle étude de paysanne; enfin, la grande esquisse
à l’huile, non terminée, des Bêcheurs (15,000 francs) est une œuvre de grand style.

Mais il y avait, à notre avis, deux ouvrages de première importance dans
cette série de Millet.

L’un est le tableau de la Baratteuse; l’autre est celui des Bâcherons (26,000 francs).
C’est une scène des plus simples, traduite sur la toile, telle que l’artiste l’avait vue
dans la nature. Le bûcheron, dans le costume habituel aux paysans, lève lourdement
au-dessus de sa tête une masse de bois à manche inégal et bourbé. Autour de lui
un tas de bois fraîchement fendu, sa blouse bleue et son chapeau, une hache, une
scie, quelques grosses bûches à débiter. Au fond, un mur d’enclos avec sa grande
ouverture sans porte. Le ciel est presque entièrement caché par un fond de forêt,
formé à gauche d’un groupe d’arbres taillés, sans feuilles, des ormeaux probablement,
et à droite par la masse brune, à la fois intense et vaporeuse, de la forêt d’hiver.
Le dessin de la figure et la tonalité générale se superposent en quelque sorte pour
produire une impression solennelle et superbe, qui appelle au bout de notre plume
le mot chef-d’œuvre. L’œuvre n’est pas absolument sans défaut, si on se place au
point de vue des comparaisons que ce grand mot de chef-d’œuvre appelle fatalement.
 
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