SALON DE 1886.
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aussi le symbole de la Force prête à s’unir à la Grâce ; nous n’y
contredisons pas, car l’apologue nous semble parfaitement admissible.
Par ce temps de vulgarité triomphante, où l’art se fait volontiers
le serviteur des goûts mesquins et de l’esprit trivial de la foule, si
M. Puvis de Chavannes n’existait pas, il faudrait l’inventer. Mais de
ce que nous estimons très haut l’utilité de l’exemple que donne cet
éminent artiste par son audacieuse revendication des droits de l’idéal,
il ne faudrait pas conclure qu’il y ait à se réjouir de voir ses moyens
d’expression faire école. Or, il s’est produit, à sa suite, une invasion
de peintres « décoloristes » qui compromettent gravement, à notre
avis, l’avenir de la peinture.
Méconnaissant l’essence de son art, ces imitateurs n’ont vu que
les petits côtés du système inventé par le maître, et dont lui se sert
librement comme du moyen le plus propre à rendre sa pensée. A
vrai dire, le procédé semble commode et à la portée de tout le monde ;
il consiste, pour la plupart des copistes, à ne tenir aucun compte de ce
qu’on est convenu d’appeler le dessin et la peinture. Plus de formes
étudiées, plus de modelé, plus de ton local ; il suffît d’encadrer de
grands espaces vides, noyés dans des vapeurs lilas, où vaguent les
silhouettes indécises de graves personnages qui semblent jouer « aux
quatre coins ». On escompte la bonne volonté du public, toujours
prêt à collaborer et qui se charge volontiers d’achever les tableaux.
Et, de fait, il arrive que les intentions du peintre, fussent-elles déci-
dément incompréhensibles, son œuvre n’y perd rien ; beaucoup de
gens s’inclinent devant elle et, prenant des airs entendus, murmurent
les noms de grand art, de sentiment, de poésie...
Parmi les imitateurs de M. Puvis de Chavannes, je ne vois guère
que M. Humbert dont les œuvres soient recommandables, et encore
faut-il laisser de côté un des deux panneaux décoratifs exposés, et se
borner à retenir celui où est représentée sous le titre : En temps de
guerre, une scène du bombardement de Strasbourg, je crois. Cette
peinture est destinée à la mairie du XVe arrondissement ; elle y
fera très bonne figure ; la composition en est fort belle et d’une
émouvante simplicité.
M. Baudouin, qui a obtenu au concours la Décoration de Ici mairie
de Saint-Maur, ne s’est pas mis en frais d’idéal : il a repris pour son
compte la carrière exploitée déjà avec succès par M. Roll. Les tail-
leurs de pierre de M. Baudouin ne sont peut-être pas aussi bien peints
que ceux de son devancier ; mais l’ensemble du tableau est intelli-
gemment compris. Quant aux vertus décoratives de cette peinture, je
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aussi le symbole de la Force prête à s’unir à la Grâce ; nous n’y
contredisons pas, car l’apologue nous semble parfaitement admissible.
Par ce temps de vulgarité triomphante, où l’art se fait volontiers
le serviteur des goûts mesquins et de l’esprit trivial de la foule, si
M. Puvis de Chavannes n’existait pas, il faudrait l’inventer. Mais de
ce que nous estimons très haut l’utilité de l’exemple que donne cet
éminent artiste par son audacieuse revendication des droits de l’idéal,
il ne faudrait pas conclure qu’il y ait à se réjouir de voir ses moyens
d’expression faire école. Or, il s’est produit, à sa suite, une invasion
de peintres « décoloristes » qui compromettent gravement, à notre
avis, l’avenir de la peinture.
Méconnaissant l’essence de son art, ces imitateurs n’ont vu que
les petits côtés du système inventé par le maître, et dont lui se sert
librement comme du moyen le plus propre à rendre sa pensée. A
vrai dire, le procédé semble commode et à la portée de tout le monde ;
il consiste, pour la plupart des copistes, à ne tenir aucun compte de ce
qu’on est convenu d’appeler le dessin et la peinture. Plus de formes
étudiées, plus de modelé, plus de ton local ; il suffît d’encadrer de
grands espaces vides, noyés dans des vapeurs lilas, où vaguent les
silhouettes indécises de graves personnages qui semblent jouer « aux
quatre coins ». On escompte la bonne volonté du public, toujours
prêt à collaborer et qui se charge volontiers d’achever les tableaux.
Et, de fait, il arrive que les intentions du peintre, fussent-elles déci-
dément incompréhensibles, son œuvre n’y perd rien ; beaucoup de
gens s’inclinent devant elle et, prenant des airs entendus, murmurent
les noms de grand art, de sentiment, de poésie...
Parmi les imitateurs de M. Puvis de Chavannes, je ne vois guère
que M. Humbert dont les œuvres soient recommandables, et encore
faut-il laisser de côté un des deux panneaux décoratifs exposés, et se
borner à retenir celui où est représentée sous le titre : En temps de
guerre, une scène du bombardement de Strasbourg, je crois. Cette
peinture est destinée à la mairie du XVe arrondissement ; elle y
fera très bonne figure ; la composition en est fort belle et d’une
émouvante simplicité.
M. Baudouin, qui a obtenu au concours la Décoration de Ici mairie
de Saint-Maur, ne s’est pas mis en frais d’idéal : il a repris pour son
compte la carrière exploitée déjà avec succès par M. Roll. Les tail-
leurs de pierre de M. Baudouin ne sont peut-être pas aussi bien peints
que ceux de son devancier ; mais l’ensemble du tableau est intelli-
gemment compris. Quant aux vertus décoratives de cette peinture, je