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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 22.1899

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Nr. 1
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Renan, Ary: Gustave Moreau, 4
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https://doi.org/10.11588/diglit.24686#0067

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GUSTAVE MOREAU

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sortir du cercle des pensers philosophiques où il a puisé l’inspi-
ration de la Sphynge et de Médéeet d’où naîtront une Hélène et une
Galatée, Moreau reste fidèle à cette prédilection que nous lui recon-
naissions tout à l’heure pour les inconscientes tragédies de la Fatalité.
Le voici vivant de longues années sous l’obsession de ce nom de
femme, hanté par la vision d’un geste impitoyable, par l’horreur de
ce sang de juste versé pour la grâce d’un être fatal et beau; car, ce
qu’il demande à l’amer récit de l’Evangile, c’est encore un monstre
à peindre, un monstre femelle encore dont la force réside à la fois
dans sa pure beauté charnelle, dans la pratique d’artifices maudits,
dans une perversité spontanée ou suggérée. La syrienne Salomé
devient ainsi, par le désir qu’elle a conçu ou par la vengeance
qu’elle sert, Uincarnation d’une harmonieuse et navrante énergie
du Mal, l’ouvrière d’un de ces grands crimes qu’il appartient à l’art
de magnifier.

Le harem, en son abside la plus reculée, prison d’onyx incrustée
d’émaux, crypte monumentale aux portiques emplis de silence,
baigne dans une religieuse pénombre et dans l'aura spéciale aux
longues minutes d’attente dramatique, dans Y aura qui glace les
moelles et prépare aux pires hallucinations les esprits vacillants.
Emanée de baies lointaines, la poudre d’or du couchant Hotte bien
entre les fortes colonnes, comme pour rattacher à la terre des vivants
celte architecture sépulcrale; mais des lampes luisent, des parfums
brûlent, d’insaisissables richesses scintillent à la façon des cristaux
et des stalactites dans les abîmes ; et des êtres animent cette immense
caverne : les sons étouffés d’une mandore s’égrènent, on entend un
cliquetis de joyaux, un froissement de soies et d’orfrois. Quels
acteurs suppose donc un décor où suinte la peur mystique, où la
mort plane, sinon de merveilleux automates, des spectres engendrés
par la fièvre, des créatures pâlies, énervées et déchues?

Tel est le triste Hérode. Immobile et décharné comme un yoghi,
accablé sous le poids de sa tiare de satrape, il semble une momie
roulée dans ses mousselines, un ascète insensible, ankylosé dans sa
majesté de larve royale ; et, du haut de son alvéole d’or, pareil au
cataleptique absorbé dans un nirvana sans fond, ses yeux vides
regardent les destins s’accomplir. On dirait d’un de ces fétiches
taillés dans une racine de mandragore au nom desquels les races
sauvages se ruent au carnage; le trône avec lequel il fait corps a
la structure d’un autel ; un porte-glaive, muet exécuteur, attend la
 
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