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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
secrétaire perpétuel qu’il avait si noblement remplies pendant un
quart dé siècle! On le pressa en vain, lui offrant toutes les aides, tous
les allégements qu’il pourrait souhaiter. Avec une inflexible douceur,
il resta inébranlable.
Son parti était pris et il ne pouvait revenir sur une détermi-
nation dictée par le sentiment très haut qu’il avait de sa dignité. Il
songeait d’autant moins à la remettre en question qu’elle lui avait
coûté davantage. Il supplia donc l’Académie de lui épargner des
instances aussi douloureuses qu’inutiles; il fallut bien se rendre
à son désir. Ses confrères de l’Institut n’avaient plus dès lors qu’à
joindre à l’expression de leurs regrets celle de leur gratitude. Un
grand artiste, M. Chaplain, étroitement lié avec M. Delaborde, avait
tenu à lui laisser un témoignage de sa reconnaissance et de son atta-
chement personnel et il venait de terminer, d’après lui, la plaquette
dont une reproduction accompagne ces lignes. Avec le consentement et
sous la surveillance de M. Chaplain, l’Académie fut heureuse de faire
frapper en or un exemplaire de ce chef-d’œuvre, où les traits de
M. Delaborde étaient rendus avec autant de fidélité que de style. Au
revers étaient consignés les termes du vote unanime par lequel elle
avait voulu témoigner les sentiments qui animaient tous ses
membres. La remise de cette médaille fut particulièrement émou-
vante : chacun sentait, et mieux qu’aucun d’eux, celui même qui
était appelé à lui succéder et qui parla dignement au nom de tous,
la perte que faisait la Compagnie.
Quand, vers la lin de l’année 1898, une nouvelle atteinte du mal
dont il avait, avec un si stoïque courage, écouté et compris les aver-
tissements, vint frapper M. Delaborde, elle le trouva chrétiennement
résigné, heureux de s’être dégagé à temps d’une situation à laquelle
il était cependant si attaché. Cinq mois durant, il supporta, avec une
patience admirable; les épreuves prolongées qu’amenait insensible-
ment la décroissance de la vie, parlant jusque dans ses rêves de sa
chère Académie, de tout ce qui avait fait le prix et l’honneur de cette
existence vouée au bien, profondément touché des témoignages
d’affection que lui prodiguaient à l’envi les membres d’une famille
justement fiôre de son chef. Frappée de tout ce qu’elle voyait, la
bonne sœur qui venait en aide à leurs soins s’était prise d'une telle
admiration pour son malade, « pour ce saint », comme elle disait,
qu’elle demandait ardemment à Dieu de suffire jusqu’au bout à la
tâche de dévouement et de fatigue à laquelle elle s’était consacrée de
tout son cœur et de toutes ses forces.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
secrétaire perpétuel qu’il avait si noblement remplies pendant un
quart dé siècle! On le pressa en vain, lui offrant toutes les aides, tous
les allégements qu’il pourrait souhaiter. Avec une inflexible douceur,
il resta inébranlable.
Son parti était pris et il ne pouvait revenir sur une détermi-
nation dictée par le sentiment très haut qu’il avait de sa dignité. Il
songeait d’autant moins à la remettre en question qu’elle lui avait
coûté davantage. Il supplia donc l’Académie de lui épargner des
instances aussi douloureuses qu’inutiles; il fallut bien se rendre
à son désir. Ses confrères de l’Institut n’avaient plus dès lors qu’à
joindre à l’expression de leurs regrets celle de leur gratitude. Un
grand artiste, M. Chaplain, étroitement lié avec M. Delaborde, avait
tenu à lui laisser un témoignage de sa reconnaissance et de son atta-
chement personnel et il venait de terminer, d’après lui, la plaquette
dont une reproduction accompagne ces lignes. Avec le consentement et
sous la surveillance de M. Chaplain, l’Académie fut heureuse de faire
frapper en or un exemplaire de ce chef-d’œuvre, où les traits de
M. Delaborde étaient rendus avec autant de fidélité que de style. Au
revers étaient consignés les termes du vote unanime par lequel elle
avait voulu témoigner les sentiments qui animaient tous ses
membres. La remise de cette médaille fut particulièrement émou-
vante : chacun sentait, et mieux qu’aucun d’eux, celui même qui
était appelé à lui succéder et qui parla dignement au nom de tous,
la perte que faisait la Compagnie.
Quand, vers la lin de l’année 1898, une nouvelle atteinte du mal
dont il avait, avec un si stoïque courage, écouté et compris les aver-
tissements, vint frapper M. Delaborde, elle le trouva chrétiennement
résigné, heureux de s’être dégagé à temps d’une situation à laquelle
il était cependant si attaché. Cinq mois durant, il supporta, avec une
patience admirable; les épreuves prolongées qu’amenait insensible-
ment la décroissance de la vie, parlant jusque dans ses rêves de sa
chère Académie, de tout ce qui avait fait le prix et l’honneur de cette
existence vouée au bien, profondément touché des témoignages
d’affection que lui prodiguaient à l’envi les membres d’une famille
justement fiôre de son chef. Frappée de tout ce qu’elle voyait, la
bonne sœur qui venait en aide à leurs soins s’était prise d'une telle
admiration pour son malade, « pour ce saint », comme elle disait,
qu’elle demandait ardemment à Dieu de suffire jusqu’au bout à la
tâche de dévouement et de fatigue à laquelle elle s’était consacrée de
tout son cœur et de toutes ses forces.