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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 22.1899

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Nr. 3
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Desjardins, Paul: Les salons de 1899, 5, Peinture
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https://doi.org/10.11588/diglit.24686#0277

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262

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

l'artiste ; pas l’ombre de snobisme, nulle attention donnée à ce qui
brille, une application non distraite à ces grandeurs de l’esprit qui
se déploient même au sein de la pauvreté et qui la tranfigurent, un
respect pieux de ces petits coins de réalité commune où Dieu est
présent... M. Leclercq est une des consciences les plus saines de
notre temps et de notre pays. Il faut le suivre attentivement.

Sur Eugène Carrière, j’ai déjà dit un peu de ce que je pense, j’ai
annoncé ma prédilection. Nos communs amis Gabriel Séailles, André
Michel, Gustave Geffroy, Maurice Hamel, ont expliqué tour à tour
en quoi il est novateur ; eux du moins savent ce qu’est la maîtrise,
en peinture. Que pourrais-je dire après eux? Seulement indiquer,
d’un trait rapide, ce que son dernier envoi nous apprend sur l’hu-
manité.

Mettons à part deux portraits : une jeune femme au visage
amaigri, méditant, le menton sur la main, et une petite fille joufflue,
aux yeux de braise vive, vue de face ; ces physionomies ont du
lointain, toujours ; le regard est chargé de sentiment. Mais les deux
autres toiles traduisent ces réactions des âmes les unes sur les au-
tres, que Carrière a scrutées de ses yeux enfonçants, mieux que tout
le reste. L’Étude, c’est la petite fille aux prunelles noires que nous
venons de voir, et auprès d’elle une sœur aînée, qui peint, la posant
pour faire son portrait. L’enfant a gardé les formes grasses et indé-
terminées du premier âge ; la jeune fille a déjà le modelé précis et
dépouillé, où la vie, c’est-à-dire la lutte, a marqué son empreinte.
D’une main elle tient la palette, de l’autre elle relève les cheveux
sur le front de son modèle. Devant la beauté de ce front uni, siège
de la pensée, révélation de la future grandeur humaine, la jeune
artiste est restée songeuse, le sourcil levé, les lèvres avançantes
avec cette moue d’attention et d’effort que Michel-Ange prête à ses
figures. Manifestement la petite, qui se laisse faire, a toute la noncha-
lance de la nature ; d’un doigt, elle évase le col de sa robe, pour
mettre à nu l’attache de l’épaule; puisqu’on l’a demandée, la voilà
telle quelle ; qu’on fasse ou non son portrait, peu lui importe, et
ses idées vagabondent aiJleurs ; l’aînée, que l’intelligence et la
volonté font supérieure, qui véritablement est un esprit, reste en
contemplation pourtant devant cette merveille naturelle qui s’ignore
elle-même, cette merveille des corps, un cou d’enfant, un visage,
un front. Ce n’est pas trop, en effet, de toute l’énergie d’un esprit
concentré, pour démêler cette harmonie précise des parties, qui
ravissait Léonard. Mais cet esprit, qui veut comprendre la beauté,
 
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