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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 22.1899

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Nr. 3
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Desjardins, Paul: Les salons de 1899, 5, Peinture
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https://doi.org/10.11588/diglit.24686#0278

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LES SALONS DE 1899

263

est, à son tour, un objet très beau à représenter. Voyez le geste de
la jeune artiste, n’a-t-il pas cette puissance idéographique, cette
éloquence fixée que les sculpteurs cherchent pour leurs statues?
— Oui, Carrière a sculpté, avec le pinceau, la beauté de l'esprit

découvrant la beauté du corps.Au demeurant, la relation de ces

deux âmes l’une à l’autre est une relation d’aînée à cadette ; la
fonction de l’âme la plus élémentaire est d’être, tout simplement;
la fonction de l’âme réfléchie est de comprendre l’âme simple, qui
ne saurait se comprendre, et de se tenir, devant cette âme simple,
dans l’attitude du respect; c’est par là quelle s’affirme supérieure.
« A mesure que l’on a plus d’esprit, dit Pascal, l’on découvre plus
de beautés originales. » Et, par suite, l’on a plus de quoi aimer.

L’autre composition de Carrière est de l’ordre uniquement senti-
mental (donc plus parlante pour les femmes, quoique je préfère, quant
à moi, celle que je viens d’étudier). C’est le Réveil: une mère se penche
vers les lits jumeaux d’où se lèvent à la fois deux petites filles, en
longue chemise, qui se jettent à son cou à l’envi, d’un mouvement
passionné. La mère baisse vers elles sa tête alourdie de soucis, et,
dans cette étreinte, dans ce long baiser, le peintre a mis, comme il
sait le faire, cette avidité de tendresse hâtive, naturelle en des êtres

qui pressentent que la mort prochaine va les désenlacer. C’est

là une autre sorte de possession de l’homme par l’homme : le désir
du mutuel appui dans l’etlroi du destin. Depuis longtemps Carrière
nous traduit ce sentiment, en des visions diverses ; ce sont toujours
des grappes humaines pressées comme un essaim d’abeilles émi-
grantes ; mais le groupement, l’attitude varient, l’artiste cherche
un arrangement de lignes harmonieux et significatif, — comme un
statuaire, encore une fois. — Reculez-vous de la toile, afin que, de
pénombre fumeuse, le mouvement d’ensemble se dégage; remarquez
comme les plis des longs vêtements s’inclinent aussi et se font sup-
pliants, continuant Lintlexion des bras pendus et noués à la nuque
penchée de la mère ; on dirait les volutes de vagues que l’attraction
d’un astre soulève... Oui, c’est bien cela : l’attraction des mobiles et
des inquiets par les calmes, qui savent...

Heureux peintres ! les vérités fuyantes que notre langage trop
gros de mailles ne sait comment retenir, d’un coup d’œil profond et
d’un coup de pinceau sûr, ils les saisissent, ils les apportent toutes
vives à ceux d’entre nous qui s’essayent à penser au delà des
mots.

(La suite 'prochainement.)

PAUL DESJARDINS
 
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