CHARDIN A POTSDAM ET A STOCKHOLM
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Mme Chardin ', née Marguerite Pouget, en bonnet blanc très simple,
avec nœud bleu, fichu blanc, casaquin de soie noire et robe brune,
nous offre une fois de plus l’alliance des couleurs favorites du maî-
tre; quant à Chardin lui-même, il porte une large visière verte sur
son bonnet blanc. Les deux effigies sont admirables de sincérité attrac-
tive et sans subterfuge. « La Tour lui-même, remarquait Reiset,
n’a jamais mieux réussi. » Il faut cependant noter que Chardin se
sert du crayon de couleur d’une façon toute différente de celle de La
Tour. Il ne craint pas de laisser la touche telle qu’il l’a posée et ne
recherche pas ces effets de velouté qui font le charme ordinaire des
œuvres du maître pastelliste. La dernière œuvre célèbre de Chardin,
un portrait de jeune homme peint au pastel, fut exposée au Salon
de 1779 et attira l’attention de Madame Victoire. Elle en demanda
le prix; mais Chardin répondit que l’honneur fait à ses cheveux
blancs par une Fille de France était une faveur inappréciable, et
reçut en retour de la princesse une tabatière d’or qui le ravit1 2.
Mais tandis que le biographe enregistre les honneurs, faveurs
et satisfactions prodigués au maître, l’issue fatale approche. La
même année qui fut marquée par la disparition de tant d’amis et de
compagnons de Chardin lui octroya la grâce suprême, celle d’une
belle mort. Depuis longtemps il souffrait fort de diverses infirmités
et, en particulier, était affligé de la pierre ; mais il continua de
travailler jusqu’au bout et expira à l’âge de quatre-vingts ans, fidè-
lement soigné par sa brave femme3 ; celle-ci paraît l’avoir consolé
de son premier mariage4, qui fut malheureux, et de la perte de son
fils, un premier prix de peinture, dont le suicide à Venise attrista
ses derniers jours5.
1. Gravé par Abel Luzat.
2. Mémoires inédits, t. Il, p. 439.
3. Dans une lettre non datée écrite par Gochin à Descamps, après la mort de
Chardin, Cochin dit : « Mme Chardin demeure maintenant rue du Renard-Saint-
Sauveur, chés M. Adger, agent de change. M. Dachet, oncle de M. Adger, avoit
épousé une sœur de Mme Chardin... M. Adger a offert à Mmo Chardin de la recevoir
chés lui où elle couleroit la vie douce, n’ayant plus le souci de rien que de sa
santé... Ils ont une maison de campagne... au moyen de quoy elle jouit d’un
doux repos. » (Archives de l’Art français, t. Y, p. 219.)
4. Pour les documents concernant le premier et le second mariage de Char-
din, voir de Concourt, Op. cit., t. I, p. 91 et 94.
5. Mémoires inédits, t. II, p. 435, 438 et 439. Le jeune Chardin étudia à l’École
des élèves protégés. Son Alexandre s’endormant avec une houle dans la main figura
à l’Exposition des pensionnaires, à Versailles, en avril 1755. Le duc de Luynes
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Mme Chardin ', née Marguerite Pouget, en bonnet blanc très simple,
avec nœud bleu, fichu blanc, casaquin de soie noire et robe brune,
nous offre une fois de plus l’alliance des couleurs favorites du maî-
tre; quant à Chardin lui-même, il porte une large visière verte sur
son bonnet blanc. Les deux effigies sont admirables de sincérité attrac-
tive et sans subterfuge. « La Tour lui-même, remarquait Reiset,
n’a jamais mieux réussi. » Il faut cependant noter que Chardin se
sert du crayon de couleur d’une façon toute différente de celle de La
Tour. Il ne craint pas de laisser la touche telle qu’il l’a posée et ne
recherche pas ces effets de velouté qui font le charme ordinaire des
œuvres du maître pastelliste. La dernière œuvre célèbre de Chardin,
un portrait de jeune homme peint au pastel, fut exposée au Salon
de 1779 et attira l’attention de Madame Victoire. Elle en demanda
le prix; mais Chardin répondit que l’honneur fait à ses cheveux
blancs par une Fille de France était une faveur inappréciable, et
reçut en retour de la princesse une tabatière d’or qui le ravit1 2.
Mais tandis que le biographe enregistre les honneurs, faveurs
et satisfactions prodigués au maître, l’issue fatale approche. La
même année qui fut marquée par la disparition de tant d’amis et de
compagnons de Chardin lui octroya la grâce suprême, celle d’une
belle mort. Depuis longtemps il souffrait fort de diverses infirmités
et, en particulier, était affligé de la pierre ; mais il continua de
travailler jusqu’au bout et expira à l’âge de quatre-vingts ans, fidè-
lement soigné par sa brave femme3 ; celle-ci paraît l’avoir consolé
de son premier mariage4, qui fut malheureux, et de la perte de son
fils, un premier prix de peinture, dont le suicide à Venise attrista
ses derniers jours5.
1. Gravé par Abel Luzat.
2. Mémoires inédits, t. Il, p. 439.
3. Dans une lettre non datée écrite par Gochin à Descamps, après la mort de
Chardin, Cochin dit : « Mme Chardin demeure maintenant rue du Renard-Saint-
Sauveur, chés M. Adger, agent de change. M. Dachet, oncle de M. Adger, avoit
épousé une sœur de Mme Chardin... M. Adger a offert à Mmo Chardin de la recevoir
chés lui où elle couleroit la vie douce, n’ayant plus le souci de rien que de sa
santé... Ils ont une maison de campagne... au moyen de quoy elle jouit d’un
doux repos. » (Archives de l’Art français, t. Y, p. 219.)
4. Pour les documents concernant le premier et le second mariage de Char-
din, voir de Concourt, Op. cit., t. I, p. 91 et 94.
5. Mémoires inédits, t. II, p. 435, 438 et 439. Le jeune Chardin étudia à l’École
des élèves protégés. Son Alexandre s’endormant avec une houle dans la main figura
à l’Exposition des pensionnaires, à Versailles, en avril 1755. Le duc de Luynes