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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
d’ethnographie y donne les types de toujours, les plus expressifs. On
y retrouve en vieux usages, par larges bribes, les antiques sorcel-
leries, les religions premières, beaucoup de ce que les savants sont
accoutumés d'aller rechercher chez tous les aborigènes d’Afrique
ou d’Amérique. On y voit, on y appréhende pour ainsi dire, encore
le christianisme des premiers temps en lutte d’influence avec le
paganisme, et on y voit tout le christianisme russe dans ses nuances
et dans ses monuments. Gomme s’ils étaient venus hier, on y
retrouve les envahisseurs Scandinaves de la Russie, les Varègues,
arrivant sur leurs barques à la suite de leurs princes et tombant sur
d’humbles populations agricoles, chasseresses ou pêcheuses, finnoises
ou slaves, auxquelles ils devaient s’incorporer. Cette Russie septen-
trionale, quel résumé clair, essentiel, expérimental, vivant de la
Russie ancienne ! A tant faire que revenir en arrière pour cher-
cher le sol ferme et retrouver pour l’art russe une souche pure,
c’est jusqu’à elle, en bonne logique, qu’il faut retourner. Outre le
particularisme, le « caractère » que nous désirons, elle nous
donnera vraiment le grand air et son coup de fouet, la vigueur
jeune, la force brune (un peu si l’on veut ce que certains de nos
peintres français ont été prendre en Bretagne ou même plus loin ;
je n’ose faire dire cela pertinemment à M. Rœhrich et je l’ajoute
comme de mon cru). C’est la leçon de cette Russie qu’il nous importe
de recueillir et de magnifier; c’est en tout cas ce que je tenterai de
faire pour ma part : c’est cette Russie-là que j’étudierai et susciterai.
Et M. Rœhrich l’a fait à peu près comme nous supposons qu’il
t’ait dit ou qu’il ait pu le dire.
Il sortait de l’atelier d’un paysagiste original, ami des belles pâtes
unies et des effets de lumière si curieusement choisis et si tranchés
qu’ils parurent parfois factices. A M. Kouïndji, M. Nicolas Rœhrich
prit le goût des vastes perspectives aériennes ouvertes sur la nature
russe et le goût d'un métier robuste. Dès que le jeune artiste put
exprimer ses préférences, il prôna le besoin, pour les artistes ses
compatriotes, d’une facture reprise et forte; les sujets sociaux, qui
venaient d’être si à la mode, les avaient trop déshabitués à la longue
d'un faire solide: « le fond avait tué l’art. » Il réagit, en ce qui le
concernait, autant qu’il put.
Son premier tableau, Le Messager, décelait l’influence des Péréd-
vijniki dans les types, mais aussi celle de Kouïndji. C’était, au long
de la rive escarpée d’un grand fleuve, deux paysans, dont l’un très
vieux, glissant dans une barque étroite. Ce tableau fut un des der-
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d’ethnographie y donne les types de toujours, les plus expressifs. On
y retrouve en vieux usages, par larges bribes, les antiques sorcel-
leries, les religions premières, beaucoup de ce que les savants sont
accoutumés d'aller rechercher chez tous les aborigènes d’Afrique
ou d’Amérique. On y voit, on y appréhende pour ainsi dire, encore
le christianisme des premiers temps en lutte d’influence avec le
paganisme, et on y voit tout le christianisme russe dans ses nuances
et dans ses monuments. Gomme s’ils étaient venus hier, on y
retrouve les envahisseurs Scandinaves de la Russie, les Varègues,
arrivant sur leurs barques à la suite de leurs princes et tombant sur
d’humbles populations agricoles, chasseresses ou pêcheuses, finnoises
ou slaves, auxquelles ils devaient s’incorporer. Cette Russie septen-
trionale, quel résumé clair, essentiel, expérimental, vivant de la
Russie ancienne ! A tant faire que revenir en arrière pour cher-
cher le sol ferme et retrouver pour l’art russe une souche pure,
c’est jusqu’à elle, en bonne logique, qu’il faut retourner. Outre le
particularisme, le « caractère » que nous désirons, elle nous
donnera vraiment le grand air et son coup de fouet, la vigueur
jeune, la force brune (un peu si l’on veut ce que certains de nos
peintres français ont été prendre en Bretagne ou même plus loin ;
je n’ose faire dire cela pertinemment à M. Rœhrich et je l’ajoute
comme de mon cru). C’est la leçon de cette Russie qu’il nous importe
de recueillir et de magnifier; c’est en tout cas ce que je tenterai de
faire pour ma part : c’est cette Russie-là que j’étudierai et susciterai.
Et M. Rœhrich l’a fait à peu près comme nous supposons qu’il
t’ait dit ou qu’il ait pu le dire.
Il sortait de l’atelier d’un paysagiste original, ami des belles pâtes
unies et des effets de lumière si curieusement choisis et si tranchés
qu’ils parurent parfois factices. A M. Kouïndji, M. Nicolas Rœhrich
prit le goût des vastes perspectives aériennes ouvertes sur la nature
russe et le goût d'un métier robuste. Dès que le jeune artiste put
exprimer ses préférences, il prôna le besoin, pour les artistes ses
compatriotes, d’une facture reprise et forte; les sujets sociaux, qui
venaient d’être si à la mode, les avaient trop déshabitués à la longue
d'un faire solide: « le fond avait tué l’art. » Il réagit, en ce qui le
concernait, autant qu’il put.
Son premier tableau, Le Messager, décelait l’influence des Péréd-
vijniki dans les types, mais aussi celle de Kouïndji. C’était, au long
de la rive escarpée d’un grand fleuve, deux paysans, dont l’un très
vieux, glissant dans une barque étroite. Ce tableau fut un des der-