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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 40.1908

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Nr. 2
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Laloy, Louis: Chronique musicale
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https://doi.org/10.11588/diglit.24867#0186

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168

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

L’ouvrage a été monté avec le soin et le goût ordinaires à J’Opéra-Gomique.
Les décors sont fort beaux, et si l’on peut reprocher à celui du prologue un aspect
plutôt suisse que russe, il ne faut pas oublier que nous sommes ici en un pays
de légende, où le document exact perd un peu de sa valeur. La maison de Bobyl,
au premier acte, est une isba classique, aux franches couleurs, et la rivière au
cours incertain, qui serpente à travers la plaine, peut passer pour un affluent
de la Volga, ou bien de l’Oise : la vérité, ici encore, n’est que générale, et l’on
ne saurait s’en plaindre. De même, la forêt du troisième acte, qui est de tous
les pays, mais a cette poésie rêveuse dont M. Jusseaume détient le secret. Enfin,
le palais du roi, au deuxième acte, est bien en style de Kremlin, comme il
convenait. Les costumes sont fort exacts, à part quelques casaques d’automo-
bile, au prologue, et les couleurs s’en marient en harmonies claires et douces,
selon le goût exquis de ce théâtre : on ne pouvait faire à cette œuvre agréable
un accueil plus flatteur.

*

* *

Boris Goclounov nous est parvenu au contraire tout monté, avec ses chanteurs,
ses choristes et figurants, ses costumes et ses décors, faits d’après les dessins de
MM. Golovine et Alexandre Benois. C’est que toute transposition était impossible
ici : la musique s’y oppose; Boris Godounov est une œuvre de foi. Le vrai sujet
du drame est, on le sait, la destinée de la Russie, et son héros, comme le titre
l’indique, c’est le peuple même. Aussi est-ce le caractère épique qui domine, et
il faut bien se garder, sous prétexte qu’on parle ici de remords et qu’on voit un
fantôme, de songer à Macbeth.

C’est Pouchkine qui voulait imiter Shakespeare, et détachait ses personnages,
en orgueilleux relief, par devant les bouffonnes grimaces de quelques manants.
Moussorgski n’a d’autre souci, au contraire, que de les relier par degrés insen-
sibles à la masse confuse, gémissante et révoltée tour à tour, dont ils sont
les consciences plus claires et les volontés mieux affirmées. C’est pourquoi,
autour du tsar meurtrier, généreux et maudit, et de son rivai, le moine aven-
turier, tous se groupent, en une composition serrée comme celle des tapisse-
ries, et presque sur le même plan : la petite princesse qui pleure son fiancé, la
nourrice qui console avec ses chansons, le vieux prince Chouiski, toujours prêt
à trahir, le religieux Pimene, intègre annaliste qui dénonce le crime à la posté-
rité, les moines paillards, la gaillarde aubergiste, les sergents qui forcent la
ioule à pleurer et préparent un plébiscite à coups de hallebardes, l’innocent au
regard vague, qui sent obscurément l’avenir et la suite des malheurs : là nous
sommes déjà tout près du peuple, dont les rangs serrés montent, au fond du
tableau, jusqu’au ciel noir. Toutes ces figures se touchent, et leurs gestes se
commandent; c’est pourquoi elles sont traitées en un style décoratif bien plus
que pathétique, le détail particulier n’étant admis que s’il s’accorde à l’en-
semble. La musique n’usera donc que fort sobrement de ces libertés que Mous-
sorgski lui-même lui a conquises en des compositions plus personnelles, telles
que ses romances ou sa Chambre d'enfants. Elle ne se les interdit pas cependant :
un cri, un appel de détresse ou de terreur, se marque par une inflexion chroma-
tique, une harmonie altérée, une modulation insolite; mais ce n’est qu’une
indication, une touche brève qui ne compromet pas la suite des lignes et leur
 
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