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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
de Vues de Suisse, et ne recula pas devant le nombre formidable de
planches gravées qu’une semblable impression exigeait. La nouveauté
eut un tel succès qu’à l’Exposition de 1806 elle avait déjà des imita-
tions : une Bataille d’Austerlitz, exécutée par Jourdan, Villars et Cie,
des Voyages du Capitaine Cook, fabriqués par Joseph Dufour.
Nous n’avons jamais vu cette dernière tenture, où les contempo-
rains reconnaissaient « ce que l'art a produit de plus curieux en ce
genre », et nous n’acceptons ce jugement que sous bénéfice d’inven-
taire. Les compositions poncives que Fragonard bis dessinait deux
ans plus tard pour l’atelier, en prenant pour sujets les Douze mois
de Cannée, et qu’on imprimait en camaïeu feuille morte ou cuivre
rouge d’un si désagréable effet, peuvent nous faire hésiter sur le
goût de Joseph Dufour. Mais en 1814 l'industriel de la rue Beauveau
s’adressa à Louis Lafiitte, dessinateur du cabinet du roi, et mit au
jour son grand décor en grisaille Psyché et Cupidon.
C’est une merveille.
En une série de tableaux qui forment par leur ensemble une
décoration de vingt-six mètres de longueur sur deux mètres de hau-
teur, l’artiste a figuré tous les épisodes de la fable : Les Parents de
Psyché consultant l'oracle, Psyché enlevée par les Zéphyrs, Psyché au
bain, Psyché montrant ses bijoux à ses sœurs, Psyché voulant poi-
gnarder l'Amour, Psyché abandonnée, Psyché recueillie par un pêcheur,
Psyché rapportant un verre d'eau de Jouvence, Psyché allant aux
Enfers, Psyché revenant des Enfers, Réconciliation de Vénus et de
Psyché, Hymen de Psyché à Cupidon.
Figures, draperies, accessoires sont admirablement traités dans le
goût de Gérard ou de Girodet. Le cadre d’architecture néo-antique, avec
de savantes perspectives, donne à ces tableaux une noblesse et une
grandeur bien faites pour plaire à une époque d’apparat et de pompe
officielle. Tout le décor est en grisaille rehaussée de sépia, distinc-
tion suprême que l’on apprécie d’autant mieux qu’on peut la com-
parer, à la Malmaison, au coloriage des paysages suisses de Jean
Zuber. La gravure, exécutée d’après des cartons de Mader père, est
large, nette, bien nuancée. L’admiration s’impose, indépendamment
de toute difficulté vaincue : c’esl bien là, on en conviendra, un des
caractères des véritables œuvres d’art b
Dufour, à notre connaissance, ne renouvela pas ce coup de
maître, bien que d’autres tentures sorties de ses ateliers ne soient
1. Il fallut graver plus de 1500 planches pour imprimeries vingt-six lés (soit
environ quatorze mètres) de ce décor.
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de Vues de Suisse, et ne recula pas devant le nombre formidable de
planches gravées qu’une semblable impression exigeait. La nouveauté
eut un tel succès qu’à l’Exposition de 1806 elle avait déjà des imita-
tions : une Bataille d’Austerlitz, exécutée par Jourdan, Villars et Cie,
des Voyages du Capitaine Cook, fabriqués par Joseph Dufour.
Nous n’avons jamais vu cette dernière tenture, où les contempo-
rains reconnaissaient « ce que l'art a produit de plus curieux en ce
genre », et nous n’acceptons ce jugement que sous bénéfice d’inven-
taire. Les compositions poncives que Fragonard bis dessinait deux
ans plus tard pour l’atelier, en prenant pour sujets les Douze mois
de Cannée, et qu’on imprimait en camaïeu feuille morte ou cuivre
rouge d’un si désagréable effet, peuvent nous faire hésiter sur le
goût de Joseph Dufour. Mais en 1814 l'industriel de la rue Beauveau
s’adressa à Louis Lafiitte, dessinateur du cabinet du roi, et mit au
jour son grand décor en grisaille Psyché et Cupidon.
C’est une merveille.
En une série de tableaux qui forment par leur ensemble une
décoration de vingt-six mètres de longueur sur deux mètres de hau-
teur, l’artiste a figuré tous les épisodes de la fable : Les Parents de
Psyché consultant l'oracle, Psyché enlevée par les Zéphyrs, Psyché au
bain, Psyché montrant ses bijoux à ses sœurs, Psyché voulant poi-
gnarder l'Amour, Psyché abandonnée, Psyché recueillie par un pêcheur,
Psyché rapportant un verre d'eau de Jouvence, Psyché allant aux
Enfers, Psyché revenant des Enfers, Réconciliation de Vénus et de
Psyché, Hymen de Psyché à Cupidon.
Figures, draperies, accessoires sont admirablement traités dans le
goût de Gérard ou de Girodet. Le cadre d’architecture néo-antique, avec
de savantes perspectives, donne à ces tableaux une noblesse et une
grandeur bien faites pour plaire à une époque d’apparat et de pompe
officielle. Tout le décor est en grisaille rehaussée de sépia, distinc-
tion suprême que l’on apprécie d’autant mieux qu’on peut la com-
parer, à la Malmaison, au coloriage des paysages suisses de Jean
Zuber. La gravure, exécutée d’après des cartons de Mader père, est
large, nette, bien nuancée. L’admiration s’impose, indépendamment
de toute difficulté vaincue : c’esl bien là, on en conviendra, un des
caractères des véritables œuvres d’art b
Dufour, à notre connaissance, ne renouvela pas ce coup de
maître, bien que d’autres tentures sorties de ses ateliers ne soient
1. Il fallut graver plus de 1500 planches pour imprimeries vingt-six lés (soit
environ quatorze mètres) de ce décor.