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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 5. Pér. 8.1923

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Nr. 1
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Brancour, Félix René: Chronique musicale
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https://doi.org/10.11588/diglit.24940#0126

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I 12

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

désirs de l’univers ». D’hypocrites protestations d’amitiés se heurtent à de courtoises
réserves. Mais c’est vainement que le roi exhibe avec ostentation ses guerriers et ses
danseurs, et s’efforce de gagner du temps. Ce que veut voir le sultan, c’est « l’image
vivante du lotus céleste, l’unique, pure et souveraine Padmàvati. » Il la voit enfin
et s’éloigne, accablé et conquis. Le brahmane est demeuré seul au milieu d’une foule
hostile et s’acquitte de sa mission : le roi abandonnera son épouse au sultan, ou
celui-ci, dont l’armée environne Tchitor, s’emparera de la ville dont il massacrera
les habitants. Sur quoi le farouche orateur, en proie au délire, est immédiatement
mis en pièces par le peuple furieux.

Ce sacrilège se prouve néfaste à ses auteurs. La cité n’a pu résister à l’assaut des
troupes mogoles. Pour la sauver, son souverain veut livrer la reine aux désirs
d’Alaouddin. Mais celle-ci résiste, fidèle à la foi conjugale et craignant, si elle y
manque, de se réincarner en une bête immonde. Ne pouvant convaincre Ratan-Sen,
elle le tue d’un coup de poignard. Et voici que les prêtres de Siva évoquent tour à
tour les filles blanches « que le meurtre rassasie », les filles noires Kali et Dourga,
chargées d’éprouver Padmàvati qui déjoue leur sortilèges et marche enfin, paisible,
vers le bûcher où vont s’accomplir les rites des noces funèbres. Cependant que le
sultan Alaouddin apparaît, suivi de ses soldats, sur le seuil du funèbre temple.

C'est véritablement une belle, intense et noble tragédie, aux lignes sévères et
purement tracées. M. Albert Roussel l’a illustrée et, tout ensemble, imprégnée d’une
musique qui la commente et l’éclaire sans peut-être en exprimer toute l’émotion
latente. D’une complexité assidûment raffinée, par les dessins mélodiques et l’enche-
vêtrement des rythmes, cette musique souligne admirablement la plupart des senti-
ments et des situations. Sa souplesse inquiète paraît suivre jusqu’aux moindres
évolutions des pensées animant les personnages. Le premier acte se situe sur la
place publique de Tchitor, où le poème et la musique nous font songer à « l’illustre
cité » chantée par le Ramayana, « arrosée d’eaux jaillissantes, ornée de bosquets et
de jardins, entourée d’une muraille infranchissable; les accords des instruments de
musique et le frémissement des armes s’y faisaient entendre tour à tour; elle était
remplie de bavadères... et les toits résonnaient des sons du sistre, de la flûte et de
la harpe. » En vérité c’est bien ce que nous représente l’orchestre de M. Roussel,
dans lequel les voix profèrent des sons et non des paroles, instruments, elles aussi,
associant leurs sonorités palpitantes de vie mystérieuse aux accents non moins
expressifs des bois, des métaux et des cordes.

Si les danses des esclaves, au premier acte, méritent notre suffrage par leurs enla-
çantes ondulations — notons au passage le long solo en mi mineur que commente
l’une des danseuses, — c’est toutefois dans la seconde partie que le compositeur a donné
la plus ample carrière à sa puissance évocatrice. Sa musique reflète le farouche décor
qui encadre l’action Mais je veux donner ici la parole à Pierre Loti décrivant le
grand temple du Travancore, avec « ses lourdes ténèbres, où, à l’extrême lointain,
qui vibre de chants et de prières, passent confusément des formes humaines blanches. »
Plus loin le mélancolique visionnaire analyse l’orchestre du maharajah, dont les
instruments, « rien que par leurs aspects, par l’étrangeté de leurs formes, évoquent
 
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