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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 5. Pér. 8.1923

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Nr. 4
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Jamot, Paul: Renoir (1841 - 1919), [2]
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https://doi.org/10.11588/diglit.24940#0352

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32a

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

Le déjeuner s’achève dans un plaisant désordre. Les hommes qui, tout à
l'heure, tenaient l’aviron ont gardé le chapeau de paille et le maillot qui sont
les insignes de leurs fonctions. D’autres, arrivant de Paris, ont une tenue
plus citadine : on remarque même un chapeau haut de forme. Les uns sont
encore assis, les autres se lèvent pour causer entre eux ou avec les femmes.
Les propos s’échangent, soit, de loin, à travers la table, soit dans de petits
groupes au gré des attractions. Tandis que son voisin, l’homme de sport
aux bras nus, reste silencieux et indifférent, les yeux vagues, une belle
fille à la bouche rouge et aux longs yeux rieurs, qui porte un peu de travers
sur ses cheveux bouffants le petit bonnet rayé des canotiers, se retourne
vers un jeune homme qui se penche sur son épaule. Plus loin, un homme
un peu plus âgé, au profd sarcastique, s'égaie de la mine scandalisée de son
interlocutrice, qui se bouche les oreilles pour ne pas l'entendre. Trois de ces
dames ne semblent pas se soucier des galants. L’une, au premier plan, est
seule avec son petit chien, qu’elle a mis debout devant elle sur la nappe et
à qui elle affirme qu’il est bien plus joli et plus intéressant que ces vilains
hommes. L’autre, au bout de la table, est occupée de son verre qu elle
porte à ses lèvres pour une dernière rasade. Une troisième s’est accoudée à
la balustrade de la terrasse. Mais, pour le moment, elle tourne le dos au
beau paysage que nous apercevons sons le bandeau dentelé de la tente et à
l’eau qui miroite entre les branches. Grâce au gai luron qui, adossé à la
table, l’interpelle de la voix et du geste, elle nous montre son joli visage
appuyé dans le creux de sa main, son visage rond et frais comme un fruit.
Mais, bien qu’elle sourie, il reste dans ses yeux, sous l’ombre du chapeau
de paille, un peu d’énigme et de rêverie.

C’est une intuition de grand artiste que de placer, un peu à l’écart, au fond
d'un tableau de réalité familière et presque triviale, une figure qui évoque
tout un courant d impressions mystérieuses. Louis Le Nain a souvent usé de
ce moyen, sans calcul peut-être, mais d’instinct, comme Renoir lui-même.
Tandis que ses paysans, graves et un peu rudes, peints avec une scrupuleuse
vérité, occupent le devant de la toile, on aperçoit, au fond, la figure d’un
enfant qui rêve et s’isole au coin du feu, ou bien c’est une porte qui s’ouvre
sur le dehors et un jeune garçon entre, comme s’il apportait le message de
la poésie à la réalité. La vérité psychologique d'où découle l’effet obtenu par
Le Nain et par Renoir, c’est que, pour éveiller en nous, au milieu du train
ordinaire de la vie et des hommes, l'idée de poésie, un objet tout proche, si
bien choisi qu’il soit, est impuissant : il faut une apparition lointaine. Voilà
pourquoi ni les enfants rêveurs de Le Nain ni la belle mystérieuse de Renoir
ne sont ni ne doivent être au premier plan du tableau.

Cette figure de la jeune femme accoudée à la balustrade, Renoir l’avait
 
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