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en comble. O le Mantegna! O le grand maî-
tre ! Quelle douleur de voir anéantir les
chefs-d'œuvre sortis de sa main ! Que ne
donnerait-on pas pour en posséder ! Et dire
que l'an dernier le prince X** en a acheté un
pour la somme dérisoire de 25,ooo fr. ! Et
dire que ce splendide chef-d'œuvre est désor-
mais passé en Russie ! Quelle honte pour la
France ! Ah ! son énergie est bien tombée
depuis le jour où elle disputait à l'empire des
Tsars Y Immaculée Conception de Murillo
qui nous fut adjugée pour 65o,ooo fr. et pa-
tati et patata. On chauffait Mantegna comme
jadis on avait chauffé Hais et on était arrivé
au même résultat,à savoir qu'un millionnaire
se serait mis en faillite pour posséder un
Mantegna.

Le four étant préparé à point, il s'agit d'y
cuire le pain, mais il faut agir prudemment
et sans hâte. Trois mois après un de nos deux
drôles se rend chez M. le comte *** et lui dit
qu'il considère comme un devoir de lui annon-
cer que le princeX** est malade, que sa mort
est prochaine et que, sans aucun doute, le
Mantegna pour lequel il sait que M. le comte
soupire, sera vendu là-bas Pour prix de
service qu'il croit rendre à M. le comte,
notre homme ne demande qu'une chose, c'est
d'être chargé de l'acquisition, si M. le comte
reste dans les mêmes dispositions. La chose
est présentée avec distinction et retenue. Le
comte accepte et insiste pour être informé à
temps de la mort du prince, de la vente, etc.
après six mois, nouvelle visite du chevalier
d'industrie. Le prince X** est mort, on va
vendre sa galerie. Le comte signe un chèque
de 5 ooo frs pour le voyage et notre homme
part pour... Passy où demeure son associé
qui veille sur le Mantegna, soigneusement
retourné contre le mur dans une chambre
bien close

Troisième acte : dénouement rapide et
prévu. Retour simulé de notre filou; le Man-
tegna a été disputé chaudement, mais la
France l'emporte. Hurrah pour la France!
65,ooo fr., c'est pour rien.

Le comte *** est fier et heureux, il remer-
cie et paie. Bénéfice net pour nos deux asso-
ciés, 35,ooo fr. environ que ces messieurs se
partagent à la fin d'un aimable petit dîner
chez Braibant où l'on jette les fondements
d'une nouvelle combinaison commerciale.

Le pot aux roses a été découvert à la suite
des circonstances suivantes : peu de temps
après le dénouement que l'on sait, l'un des
deux filous mourut. Sa veuve réclama de la
succession une somme qui lui fut refusée. De
là un commencement de procès ; l'instruction
révéla les tripotages que nous venons de re-
later et d'autres. Le comte *** renonça à toute
revendication d'argent, mais raconta le fait à
son entourage.

J'ai donné cette histoire authentique à
titre d'échantillon. Semblables faits, beau-
coup plus nombreux qu'on ne pense et va-

riant naturellement selon les circonstances,
se passent journellement. Pour un vol à la
longue dévoilé que d'autres qui demeurent
éternellement ignorés ! Ainsi s'expliquent
certaines fortunes subites ou un étalage de
vie luxueuse chez des particuliers auxquels on
ne connaît que des revenus modestes.

Si nos lecteurs veulent bien réfléchir aux
prix énormes et tout à fait hors de raison,
auxquels ont été adjugés certains tableaux
dans les ventes publiques pendant ces der-
niers vingt ans, s'ils rapprochent ces prix du
vol à la longue que nous venons de raconter,
il se fera en eux une lumière qui leur mon-
trera bien des choses. Nombre de combinai-
sons plus ou moins semblables à celle qui
vient d'être expliquée par le menu, ont été
ourdies contre la bourse des richards. C'est
bien fait, dira-t-on, ils n'avaient qu'à ne pas
être aussi stupides. C'est possible, mais l'im-
bécilité des richards ne saurait justifier l'ac-
tion des voleurs. Des procès récents, sur le
compte desquels nous avons préparé un
chapitre terriblement révélateur, ont permis
de juger où nous en sommes arrivés dans
cette exploitation du millionnaire vaniteux
et ignare. Quant aux gouvernements... mais
la délicatesse du sujet nous arrête court. Il y
a d'ailleurs sur ce point une grande amélio-
ration et un contrôle efficace semble être
intervenu, un peu tard, peut-être; il n'est
jamais trop tard pour bien faire.

Il y a dans ce genre d'exploitations des
'nuances à l'infini. En voici une dont nous
avons été victime. S'il n'y a pas vol dans le
sens rigoureux du mot, il y a du moins
indélicatesse. Un libraire étranger, chargé de
la vente d'une belle collection de livres, nous
adresse un catalogue et se recommande pour
les commissions. Ne pouvant nous rendre à
cette vente, nous chargons le libraire de nous
acquérir, à des prix fixés, une vingtaine de
volumes petit in 18 du XVIIIe siècle, reliure
Casin, dont nous sommes friands. Nous
n'eûmes rien, mais un an après nous re-
çûmes un catalogue de livres à prix marqués
à vendre chez le même libraire. Or, nos
petits Cazins tant désirés s'y trouvaient au
prix que nous avions indiqué. Une enquête
officieuse, ouverte avec soin et discrétion,
nous démontra que ces mêmes livres avaient
été adjugés à la moitié du taux fixé par nous
pour compte du libraire à qui nous avions
donné la commission. (A suivre).

LA SCULPTURE ET L'ÉTAT (i).

LETTRE A UN CRITIQUE D'ART.

(Fin).

Tout s'enchaîne dans une société. Mais
voilà que nous parlons d'art, et je me sens
tenté de faire une échappée sur le domaine
de l'économie politique. Cela vous effraye?
Vous semblez dire que vous ne me suivrez

(i) Brochure in-8°. Paris, Pion et Cio, rue Garan-
cière. 10.

pas. J'ai cru surprendre la petite moue que
vous venez de faire du coin des lèvres. Vous
ne voulez pas que nous parlions, ne fût-ce
que deux minutes,d'économie sociale ou poli-
tique. Vous avez bien raison,"mon ami, voilà
une science qu'il ne faut pas nommer si l'on
ne veut pas être taxé de pédanterie? L'écono-
mie politique! Mais on la redoute autant
que la sculpture... sinon plus! Nous n'en
parlerons pas. Je vais prendre un chemin
détourné, bien couvert, pour arriver à mon
but. Vous allez me suivre sans vous douter
de rien, et s'il m'arrivait de poser le bout du
pied sur la lisière du terrain défendu, ce ne
serait que l'affaire d'un instant.

Aussi bien, je le reconnais, j'avais tort. Si
je ne m'étais pas retenu, n'allais-je pas vous
dire mon avis sur la liberté de tester ! Fi
donc ! la liberté de tester ! Je vous demande
ce que la liberté de tester peut bien avoir de
commun avec la sculpture? Il n'est pas per-
mis de parler dans une lettre sur l'art de la
liberté de tester.

Vous avez raison. N'en disons mot.

Mais vous ne m'en voudrez pas de consta-
ter que le droit moderne, basé sur un prin-
cipe d'égalité, consacre la division de la
fortune d'un pays. Où sont aujourd'hui les
dépositaires de la richesse? Partout et nulle
part. Tous, nous avons bénéficié peut-être
d'une nouvelle répartition de la fortune, mais
il n'y a plus en France de grands seigneurs,
à part quelques rares exceptions ; on ne con-
struit guère de palais ou de châteaux ; ceux
que nous admirons, c'est la Renaissance, ce
sont les seigneurs des dix-septième et dix-
huitième siècle qui les ont élevés. Depuis
cent ans, je le veux, l'habitation humaine
s'est faite plus commode, plus confortable,
plus luxueuse peut-être que dans le passé,
mais on l'a resserrée. Aux demeures de nos
pères ont succédé ces réduits étroits qu'on
appelle « un appartement ».

Nous n'avons plus où placer dans «l'ap-
partement » le marbre spiritualiste, grandiose
et souverain que sa blancheur idéale fait
semblable à quelque apparition d'un monde
supérieur. Nous n'avons plus de place! parce
que l'espace, comme la fortune, est morcelé.
Et ce morcellement, mon ami, existait-il
lorsque le chef de famille était en possession
de ce droit, de cette liberté dont l'Angleterre
ne s'est pas dessaisie, le droit et la liberté de
tester?

Pardon, je vous avais promis de ne plus
parler économie. Je reviens au statuaire.

Où sont les jours où les sculpteurs de
Rome et de Florence étaient honorés, com-
blés de gloire et de richesses par les pontifes
et les princes, pour peu qu'ils fissent preuve
de génie? Où sont les jours où la France de
Louis XIV applaudissait Colbert levant une
armée de sculpteurs qu'il envoyait aux chan-
tiers du Louvre, des Invalides, des Gobelins,
de Marly et de Versailles! En ce temps-là,
 
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