PLANCHE PREMIÈRE.
« distinguer dans les maisons que vous habiterez. En le voyant, je vous laisserai sur mon passage, et
« le coup de la mort ne vous atteindra point quand je frapperai FÉgypte. Pour vous, consacrez le sou-
« venir de ce jour, et faites-en à jamais pour la postérité une solennité du Seigneur. »
A Chartres, les situations respectives de ce tableau et du précédent, ainsi que leur composition,
sont à peu près les mêmes qu'ici. La scène de l'agneau pascal y réunit également deux faits : l'agneau
immolé, et la porte marquée de son sang. La croix de Saint-Bertin y ajoute une troisième circons-
tance : celle des Israélites dans l'attitude d'un départ. Ils sont là, debout et le bâton à la main, se
préparant à manger la pâque, comme des voyageurs qui se hâtent, selon l'ordre intimé à Moïse(i).
Et pour faire ressortir ces trois représentations, chacune d'elles est distinguée par une inscription. Au-
dessus de l'agneau égorgé : Mactatio agni; près des Hébreux, sur une ligne verticale à la manière
byzantine : Hoc est phaze; au-dessus de la maison : Signum tau (sic).
Ici l'unique inscription porte : Scribe thau; paroles empruntées à un autre endroit de l'Ecriture
sainte, où Ézéchiel nous montre un envoyé de Dieu marquant de la lettre thau le front des vrais
fidèles que veut épargner le Seigneur dans l'accomplissement de ses vengeances(2). Rien, ni dans l'Ecri-
ture, ni dans la tradition, n'établit clairement que la marque tracée sur les portes des Hébreux, avant
le passage de l'ange exterminateur, dût avoir la forme d'un T. Toutefois, si l'on voulait que ce fût un
thau, on trouverait à peu près celui de l'alphabet hébreu proprement dit(n), en supposant que les
deux montants de la porte et la traverse supérieure aient dû être frottés du sang de l'agneau dans
toute leur longueur. Mais ici, quoi qu'il en soit du fondement de cette opinion, il faut supposer l'em-
ploi de l'alphabet samaritain, où le thau correspond beaucoup plus à la forme de croix telle qu'on
la retrouve dans le T des Grecs et des Latins (3).
L'agneau est égorgé près de la porte, dans les trois monuments que nous avons comparés jusqu'ici.
Cette idée semble avoir été dictée aux artistes par les expressions qu'emploie Moïse, en répétant aux
Hébreux les ordres du Seigneur (4). On pourrait penser aussi avec quelque droit qu'ils traçaient leurs
cartons sous l'influence des écrits de saint Augustin, lequel développe les paroles de Moïse (5). Toute-
fois, saint Augustin offrait deux manières d'imaginer le fait; mais les artistes de Bourges et de Chartres
ont supposé que l'écrivain et celui qui immolait la victime étaient deux personnages différents. Le
premier, dans les deux verrières, paraît avoir été désigné à dessein comme un homme vénérable; barbu,
revêtu d'une robe plus longue et plus ornée, la tête couverte : on peut le prendre, sinon pour un
docteur de la loi, du moins pour le père de famille. Dans la croix de Saint-Bertin, l'agneau, déjà
égorgé, est abattu sur le seuil en dedans de la porte, et celui qui trace le thau peut être supposé ce-
lui-là même qui vient de le frapper. Il est imberbe, et en costume de voyage comme les autres : là,
d'après la lithographie publiée par M. du Sommerard, il semble écrire avec une plume; mais ici, nous
(1) Exod. /. c., v. 11. « Voici comme vous le mangerez (J agneau
pascal} : vous ceindrez vos reins, vous aurez les pieds chaus-
sés ; et, le bâton en main, vous hâterez votre repas, car c'est la
Paque [Phase, pesahh, phaskha), c'est-à-dire, le passage du
Seigneur. »
(2) Ezéchiel, IX, v. 3, 4- «Et vocavit [Dominus) virum qui
indutus erat lineis, et atramentarium scriptoris habebat in lum-
bis suis. Et dixit Dominus ad eum : Transi per mediam civitatem
in medio Jérusalem ; et signa thau super f routes virorum gemen-
tium et dolentium super cunctis abominationibus quœ fiunt in
medio ejus. »
Ce passage d'Ezéchiel est l'objet de l'un des émaux qui ornent
la croix de Saint-Bertin. A Bourges, on s'est contenté d'y faire al-
lusion par l'emprunt des deux mots qui forment la légende ; et
à Chartres, où ce fait pourrait bien avoir été représenté, on n'en
voit plus aucun vestige.
On excusera sans doute les longueurs où nous entraîne le soin
de constater les sources de ces tableaux, et les idées de sym-
bolisme qu'y attachait le moyen âge, quand on pensera qu'un
homme du mérite de M. Alexandre Lenoir a cru reconnaître la
consécration d'un évêque dans une représentation de cette vision
d'Ezéchiel. Cs. Monuments des arts en France, ou bien , Atlas de
l'Histoire des arts en France, pl. 3g.
(3) On en trouvera d'absolument cruciformes, dans les ouvrages
qui traitent de la paléographie phénicienne ou samaritaine. Cs.
Velasquez, Ënsajo sobre los alphabetos de las letras desconoci-
das, etc. Madrid, 1752, pl. 3, 4- — Gescnius, Monum. Phœnicia,
pl. i—3, 5, i3, 20, etc. Le savant Paquot, avec son érudition
ordinaire, a réuni plusieurs témoignages à ce sujet dans ses notes
sur Molanus, de Historia ss. imaginum, lib. IV, c. 5. Nous don-
nons diverses variétés de ce type dans la première planche d'étude.
(4) Exod./. c., v. 2* —23. « Vocavit autem Moyses omnes se-
niores filiorum Israël, et dixit ad eos : lté tollentes animal per
familias vestras,et immolate Phase. Fasciculumque hyssopi tin-
gite in sanguine qui est in limine, et aspergite ex eo superlimi-
nare et utrumque postem..... Transibit enim Dominus percutiens
iEgyptios : quumque viderit sanguinem in superliminari et in
utroque poste, transcendet ostium domus; et non sinet percus-
sorem in^redi domos vestras et lœdere. »
(5) Augustin. Quœst. in Exod., lib. II, qu. 46- Opp. ed. BB.,
t. III, P. I, p. 434- « Quid est quod ait : Accipietis autem fasci-
culum hyssopi, et tingentes ex sanguine qui est juxta ostium, li-
nietis super limen et super ambos postes? Quœritur enim quem
sanguinem dicat juxta ostium, quum illius agni utique velit in-
telligi sanguinem, cujus immolatione fît Pascha. An eo modo
consequenter praecipit, quamvis hoc tacuerit, ut idem agnus juxta
ostium occidatur? An, quod est credibilius, ideo dixit : Ex sanguine
qui est juxta ostium, quia scilicet il le qui liniturus est super limen
et postes, vas ipsum in quo sanguinem excepit juxta ostium po-
siturus est, ut ad manum habeat quando tingit. »
3
« distinguer dans les maisons que vous habiterez. En le voyant, je vous laisserai sur mon passage, et
« le coup de la mort ne vous atteindra point quand je frapperai FÉgypte. Pour vous, consacrez le sou-
« venir de ce jour, et faites-en à jamais pour la postérité une solennité du Seigneur. »
A Chartres, les situations respectives de ce tableau et du précédent, ainsi que leur composition,
sont à peu près les mêmes qu'ici. La scène de l'agneau pascal y réunit également deux faits : l'agneau
immolé, et la porte marquée de son sang. La croix de Saint-Bertin y ajoute une troisième circons-
tance : celle des Israélites dans l'attitude d'un départ. Ils sont là, debout et le bâton à la main, se
préparant à manger la pâque, comme des voyageurs qui se hâtent, selon l'ordre intimé à Moïse(i).
Et pour faire ressortir ces trois représentations, chacune d'elles est distinguée par une inscription. Au-
dessus de l'agneau égorgé : Mactatio agni; près des Hébreux, sur une ligne verticale à la manière
byzantine : Hoc est phaze; au-dessus de la maison : Signum tau (sic).
Ici l'unique inscription porte : Scribe thau; paroles empruntées à un autre endroit de l'Ecriture
sainte, où Ézéchiel nous montre un envoyé de Dieu marquant de la lettre thau le front des vrais
fidèles que veut épargner le Seigneur dans l'accomplissement de ses vengeances(2). Rien, ni dans l'Ecri-
ture, ni dans la tradition, n'établit clairement que la marque tracée sur les portes des Hébreux, avant
le passage de l'ange exterminateur, dût avoir la forme d'un T. Toutefois, si l'on voulait que ce fût un
thau, on trouverait à peu près celui de l'alphabet hébreu proprement dit(n), en supposant que les
deux montants de la porte et la traverse supérieure aient dû être frottés du sang de l'agneau dans
toute leur longueur. Mais ici, quoi qu'il en soit du fondement de cette opinion, il faut supposer l'em-
ploi de l'alphabet samaritain, où le thau correspond beaucoup plus à la forme de croix telle qu'on
la retrouve dans le T des Grecs et des Latins (3).
L'agneau est égorgé près de la porte, dans les trois monuments que nous avons comparés jusqu'ici.
Cette idée semble avoir été dictée aux artistes par les expressions qu'emploie Moïse, en répétant aux
Hébreux les ordres du Seigneur (4). On pourrait penser aussi avec quelque droit qu'ils traçaient leurs
cartons sous l'influence des écrits de saint Augustin, lequel développe les paroles de Moïse (5). Toute-
fois, saint Augustin offrait deux manières d'imaginer le fait; mais les artistes de Bourges et de Chartres
ont supposé que l'écrivain et celui qui immolait la victime étaient deux personnages différents. Le
premier, dans les deux verrières, paraît avoir été désigné à dessein comme un homme vénérable; barbu,
revêtu d'une robe plus longue et plus ornée, la tête couverte : on peut le prendre, sinon pour un
docteur de la loi, du moins pour le père de famille. Dans la croix de Saint-Bertin, l'agneau, déjà
égorgé, est abattu sur le seuil en dedans de la porte, et celui qui trace le thau peut être supposé ce-
lui-là même qui vient de le frapper. Il est imberbe, et en costume de voyage comme les autres : là,
d'après la lithographie publiée par M. du Sommerard, il semble écrire avec une plume; mais ici, nous
(1) Exod. /. c., v. 11. « Voici comme vous le mangerez (J agneau
pascal} : vous ceindrez vos reins, vous aurez les pieds chaus-
sés ; et, le bâton en main, vous hâterez votre repas, car c'est la
Paque [Phase, pesahh, phaskha), c'est-à-dire, le passage du
Seigneur. »
(2) Ezéchiel, IX, v. 3, 4- «Et vocavit [Dominus) virum qui
indutus erat lineis, et atramentarium scriptoris habebat in lum-
bis suis. Et dixit Dominus ad eum : Transi per mediam civitatem
in medio Jérusalem ; et signa thau super f routes virorum gemen-
tium et dolentium super cunctis abominationibus quœ fiunt in
medio ejus. »
Ce passage d'Ezéchiel est l'objet de l'un des émaux qui ornent
la croix de Saint-Bertin. A Bourges, on s'est contenté d'y faire al-
lusion par l'emprunt des deux mots qui forment la légende ; et
à Chartres, où ce fait pourrait bien avoir été représenté, on n'en
voit plus aucun vestige.
On excusera sans doute les longueurs où nous entraîne le soin
de constater les sources de ces tableaux, et les idées de sym-
bolisme qu'y attachait le moyen âge, quand on pensera qu'un
homme du mérite de M. Alexandre Lenoir a cru reconnaître la
consécration d'un évêque dans une représentation de cette vision
d'Ezéchiel. Cs. Monuments des arts en France, ou bien , Atlas de
l'Histoire des arts en France, pl. 3g.
(3) On en trouvera d'absolument cruciformes, dans les ouvrages
qui traitent de la paléographie phénicienne ou samaritaine. Cs.
Velasquez, Ënsajo sobre los alphabetos de las letras desconoci-
das, etc. Madrid, 1752, pl. 3, 4- — Gescnius, Monum. Phœnicia,
pl. i—3, 5, i3, 20, etc. Le savant Paquot, avec son érudition
ordinaire, a réuni plusieurs témoignages à ce sujet dans ses notes
sur Molanus, de Historia ss. imaginum, lib. IV, c. 5. Nous don-
nons diverses variétés de ce type dans la première planche d'étude.
(4) Exod./. c., v. 2* —23. « Vocavit autem Moyses omnes se-
niores filiorum Israël, et dixit ad eos : lté tollentes animal per
familias vestras,et immolate Phase. Fasciculumque hyssopi tin-
gite in sanguine qui est in limine, et aspergite ex eo superlimi-
nare et utrumque postem..... Transibit enim Dominus percutiens
iEgyptios : quumque viderit sanguinem in superliminari et in
utroque poste, transcendet ostium domus; et non sinet percus-
sorem in^redi domos vestras et lœdere. »
(5) Augustin. Quœst. in Exod., lib. II, qu. 46- Opp. ed. BB.,
t. III, P. I, p. 434- « Quid est quod ait : Accipietis autem fasci-
culum hyssopi, et tingentes ex sanguine qui est juxta ostium, li-
nietis super limen et super ambos postes? Quœritur enim quem
sanguinem dicat juxta ostium, quum illius agni utique velit in-
telligi sanguinem, cujus immolatione fît Pascha. An eo modo
consequenter praecipit, quamvis hoc tacuerit, ut idem agnus juxta
ostium occidatur? An, quod est credibilius, ideo dixit : Ex sanguine
qui est juxta ostium, quia scilicet il le qui liniturus est super limen
et postes, vas ipsum in quo sanguinem excepit juxta ostium po-
siturus est, ut ad manum habeat quando tingit. »
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