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Martin, Arthur
Monographie de la cathédrale de Bourges (Texte): 1. Partie. Vitraux du XIIIe siècle — Paris, 1841-1844

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https://doi.org/10.11588/diglit.18781#0258

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236

VITRAUX DE BOURGES.

141. C'est, avec le développement que l'art exigeait, une traduction très-fidèle de trois versets de
saint Luc(i) : jours de bonne chère et de luxe, d'une part; vie de privations et de souffrance, de l'autre.
Mais voici le contre-poids : tout cela trouve sa fin, et alors les rôles changent pour toujours. Lazare
meurt sans autre compagnie que les anges; mais ceux-ci recueillent respectueusement cette âme si
éprouvée sur la terre, et la conduisent avec honneur dans un séjour plus heureux (2). Le riche, au
contraire, malgré la compagnie de sa femme qui s'efforce de calmer ses angoisses, ne voit venir le
dernier instant qu'avec effroi : il s'arrache les cheveux sur son lit de douleur; et l'esprit infernal est le
seul à se réjouir, dans l'attente d'une âme qui lui est dévolue. Puis, quand la mort est venue clore
cette existence brillante et enviée, le sort du maître impérieux subit un renversement complet. Tandis
qu'un serviteur profite de l'affliction de la veuve pour dérober un vase précieux et une riche fourrure
sans être aperçu, les démons s'emparent rudement de la pauvre âme effarée, qui va être transportée
d'un palais dans une funeste demeure. Bientôt, en effet, nous voyons le riche épulon déchargé dans une
fournaise par les deux pourvoyeurs d'enfer; et un troisième avec un sourire satanique, lui sert un
breuvage d'or et d'argent fondus (3).

Du milieu des flammes où il est plongé, le nouvel hôte de ces lieux d'horreur a vu au loin, dans
le sein d'Abraham, reposer doucement celui qu'il avait tant de fois rebuté sur la terre. C'est vers lui
qu'il pousse maintenant des cris plaintifs et une voix suppliante, pour obtenir quelque adoucisse-
ment à ses maux. Son geste annonce bien la soif qui le dévore, et traduit avec une rude vérité la
demande que nous rapporte l'évangéliste (4). L'immobilité calme d'Abraham et du mendiant glorifié
répond d'une manière désespérante à ces lamentations suppliantes et à ces demandes empressées. Les
parts sont changées; voilà tout.

142. Nous avons rencontré ailleurs encore (5) cette représentation du sein d'Abraham, comme une
introduction au séjour de la béatitude éternelle. Sans vouloir nous étendre sur un sujet qu'il faudrait
étudier dans les œuvres de la sculpture, il est une remarque à laquelle nous pouvons donner place
dès maintenant; elle servira de confirmation à ce que nous n'avons fait qu'indiquer au sujet des

(1) Luc. XVI, 19—21. «Homo quidam erat dives, qui indue-
batur purpura et bysso; et epulabatur quotidie splendide.

«Et erat quidam mendicus, nomine Lazarus, qui jacebat ad
januam ejus, ulceribus plenus;

« Cupiens saturari de micis quœ cadebant de mensa divitis. Et
nemo il 1 i dabat; sed et canes veniebant, et lingebant ulcéra ejus.»

Dans \Hortus deliciarum (fol. 120), cette première partie de
l'histoire donne déjà lieu à l'exposition et à la morale que voici :

« Dives avet, fortuna favet, falsus color )

• • - i ambit.

Iste [Lazarus) gémit, fortuna premit, canis ulcéra 1J

«Cur malo bene, et bono maie

«Est aliquando bono bene, ne gravibus super|
Est maie, quo maculas lavet, adversisque probj

Est aliquando malo bene, quo gravius feri )

, ... . alur.»

Est maie, quo redeat, vel ut hic quoquejam pati)

(2) Je n'ai pas ordinairement accordé beaucoup de place aux
usages civils; mais la dépouille du pauvre lépreux sera si peu de
chose à inventorier, qu'elle ne saurait occasionner une digression
fort abusive. Tout se réduit à une béquille accompagnée de la
cliquette et du biberon. Le mendiant de l'Evangile a donc été
représenté comme un pauvre même entre les lépreux; car, d'après
la Coutume du Hainaut (chap. i35, Cs. Nouveau Coutumier géné-
ral, t. II, p. i5o), «on devra lui bailler (au lépreux)... un chapeau,
manteau gris, cliquottes (sic) et besasse. » Le manteau ou chappe
est également exigé par d'anciens statuts synodaux de Coutances
(ap. Martène, Thésaurus, IV, 806). Ailleurs on voit le biberon
ou baril marqué parmi les pièces de ce fourniment. Plusieurs
rituels anciens renferment des documents pleins d'intérêt sur le
mobilier des lépreux et sur les injonctions qui leur étaient impo-
sées pour la sûreté publique, ainsi que sur le cérémonial ecclé-
siastique de leur séquestration. Ici, pour nous renfermer dans le
pauvre équipage de Lazare, nous n'avons qu'à expliquer l'usage
des cliquettes, dont on trouve un modèle dans notre verrière.
C'était, comme on voit, un appareil assez semblable à celui qu'em-
ploient encore aujourd'hui certains marchands ambulants pour
faire remarquer leur passage; une espèce de grossier éventail en

bois, dont les branches libres produisaient par le choc un clique-
tis assez éclatant, lorsque l'instrument était heurté à plusieurs
reprises, par exemple contre le poignet ou contre la béquille.
Les lépreux devaient agiter de temps en temps cette espèce de
crécelle dans les lieux fréquentés, pour donner avis de leur pré-
sence; ils mettaient ainsi les passants en mesure d'éviter un con-
tact redouté.

(3) Le moyen âge, on l'a pu remarquer à la planche IIIe, intro-
duit volontiers le grotesque dans les scènes d'enfer. Mais c'est le
grotesque terrible d'une époque qui croit, et pour laquelle le rire
dans cette matière n'est qu'un assaisonnement effrayant de la
cruauté. C'est donc bien moins du rire que du sarcasme. 11 ne
faut pas s'y méprendre, et imaginer que les mêmes moyens puis-
sent être encore de saison, aujourd'hui que ce grotesque, au lieu
de faire frissonner, prêterait à une sorte de divertissement. On
doit s'apercevoir que cette remarque pourrait être fort étendue. 11
est telle représentation que j'ai développée avec quelque complai-
sance dans les vitraux de Bourges ou de Lyon, et que je désap-
prouverais très-formellement dans une œuvre du xixe siècle. Car il
ne faut pas imiter servilement; c'est l'esprit surtout que nous
devons chercher ? saisir dans les monuments des aères de foi

Quoi qu'il en soit, à travers quelques circonstances amplifiées,
on voit que l'artiste a continué à suivre exactement l'évangile
(Luc. XVI, 11). «Factum est autem ut moreretur mendicus, et
portatus est ab angelis in sinum Abrahae. Mortuus est autem et
dives, et sepultus est in inferno.

(4) Luc, /. cit., 2,3, sqq. « Elevans autem oculos suos, quum
esset in tormentis, vidit Abraham a longe, et Lazarum in sinu
ejus.

« Et ipse clamans dixit : Pater Abraham, miserere mei; et mitte
Lazarum ut intingat extremum digiti sui in aquam, ut refrigeret
linguam meam : quia crucior in hac flamma.

«Et dixit illi Abraham : Fili, recordare quia recepisti bona in
vita tua, et Lazarus similiter mala; nunc autem hic consolatur,
tu vero cruciaris.

« Etc., etc. »

(5) Pl. III, et Étude IX.
 
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