Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

L' art: revue hebdomadaire illustrée — 16.1890 (Teil 2)

DOI article:
Michel, Émile: Le musée de Brunswick, [2]
DOI Page / Citation link: 
https://doi.org/10.11588/diglit.25870#0238

DWork-Logo
Overview
loading ...
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
209

LE MUSÉE DE

avec une Récolte des fleurs de Breughel, exposée tout à
côté.

La Hollande aussi, parmi les paysagistes, a eu ses émi-
grés. C’est Jean Both qui, avide de soleil, va demander à
l’Italie l’éclat dont il remplit ses ciels. C’est aussi Everdin-
gen, un disciple de Savery, que son humeur voyageuse
pousse jusqu’en Norwège, mais qui, dans ses composi-
tions, reste toujours plein de gravité et d’élévation. Sa
Cascade de Brunswick est terrible et désordonnée dans
ses bondissements. Pour nous peindre ainsi les menaces
et les emportements de l’eau, il faut encore l’émotion d’un
Hollandais qui retrouve à l’œuvre un ennemi dont il
connaît les indomptables énergies. Berchem a fait plus
que changer de pays; comme Teniers avec son Christ pré-
senté au peuple, comme Steen avec ses Noces de Cana,
comme K. Dujardin avec ses Syndics d’Amsterdam, il a
eu ses heures de visées ambitieuses et il a voulu prendre
son vol vers des hauteurs pour lesquelles il n’était point
fait. Il est retombé lourdement dans cette allégorie où il
nous montre, sous la figure d’une vieille femme, Vertumne
devisant avec Pomone, digne pendant de cette Pastorale,
avec des personnages de grandeur naturelle, qui est au
Musée de la Haye. Enfin, le croirait-on, à Wouwerman
aussi la tête, un beau jour, a tourné. Lui, le peintre des
chasses, des boute-selles et des fringantes cavalcades, il a
commis, Dieu la lui pardonne! une Ascension qui n’est
pas un péché mignon. Vous n’imagineriez jamais au
milieu de quelle contrée — des Dunes de la mer du Nord,
où se voit une ville orientale, — le Christ, et quel Christ!
l’air béat, la main sur son cœur, s’enlève dans les airs,
pour le plus grand ébahissement des bergers et des mate-
lots hollandais qui l’entourent.

Disons-le bien vite, ce sont là des exceptions, et les
meilleurs, les vrais représentants de l’Ecole hollandaise,
n’ont ni déserté leur patrie, ni couru ces hasardeuses
aventures. Pour eux, la nature a réservé ces attachantes
révélations qu’elle n’accorde qu’à un long commerce et à
une fidélité éprouvée. Ceux-là n’ont pas eu à chercher au
loin leur voie. Ils sont allés au plus proche et se sont
accommodés des plus humbles données. Est-il rien de
plus modeste, en effet, que ce paysage signé faussement
d'un C et d’un M entrelacés, avec cette date assez impré-
vue : 1591 ? Un bout de barrière et quelques maigres
buissons autour desquels sont groupés plusieurs pâtres et
leur petit troupeau de chèvres et de moutons ; au loin, la
dune ; au-dessus, des nuées grises, et c’est là tout. Mais
quel art dans la composition! Quelle entente de l’effet!
Quelle sobriété dans les colorations ! Avec quel à-propos
la rudesse des terrains de sable franchement empâtés con-
traste avec la mélancolique douceur d’un ciel profond et
léger! Quelle justesse dans ces simples accords et quelle
saveur dans cette mélodie rustique ! A toutes ces harmo-
nies discrètes, à ce regard affectueux jeté sur un des plus
pauvres coins d’une pauvre campagne, en dépit même des
fausses initiales que porte ce paysage, vous avez reconnu
Van Goyen, et, à y regarder de plus près, vous retrouve-
rez, en effet, sur ce panneau, sa signature et une date à
peine lisible, mais authentique et plus vraisemblable,
puisque nous pouvons y lire 163 5. Par contre, Van Goyen
déroute un peu nos sympathies, et nous avons peine à
reconnaître ce fin coloriste dans un autre paysage dûment
signé de son nom. Le sujet, d’ailleurs, est bien de ceux
qu’il aimait : Un Village, avec une multitude de petits
personnages très habilement groupés, et la date: 1623, une
des premières qu’on relève dans son œuvre, suffirait pour
expliquer notre étonnement. A ce moment, Van Goyen
est encore sous l’influence d’Esaïas van Velde, son maître,
et autant plus tard il se montrera ménager de ses colora-
Tome XLIX.

BRUNSWICK.

tions, raffinant ses gris, réduisant sa palette au strict
nécessaire, autant cette fois il est tranchant, criard, dia-
pré, prodigue de tons durs et aigres. Il faut convenir qu’il
est revenu de loin, et dans les données familières aux-
quelles il est resté attaché, il est curieux d’étudier les évo-
lutions d’un talent toujours plus amoureux de simplicité
et de suivre, à travers les Musées de l’Allemagne, à
Dresde, à Gotha et jusqu’à Manheim, où il ne compte pas
moins de huit tableaux, ce peintre, un des plus féconds de
la Hollande.

Van der Neer, aussi, se présente à Brunswick sous un
aspect assez imprévu. A côté d’un Lever de lune, signé de
son monogramme bien connu et dont il a exprimé la poé-
sie avec son talent habituel, voici de lui, sous la lumière
crue d’un soleil d’hiver, les bords d’un canal avec des
arbres dépouillés. Aucun mystère, tout est précis, même
jusqu’à la dureté.. Plus d’une fois, Van der Neer s’est ainsi
aventuré au plein jour, et d’autres ouvrages de lui, entre
autres un important tableau que possède à Leipzig M. le
conseiller de Keil, prouvent qu’on aurait tort de le can-
tonner, tout excellent qu’il y soit, dans ses effets du soir.
Sa tentative au Musée de Brunswick n’est cependant pas à
son honneur. Il semble mal à l’aise et dépaysé sous cette
clarté trop vive, comme ces oiseaux nocturnes que l’on voit
affolés et ahuris quand ils se risquent avant le crépuscule.

Avec Jacob Ruisdael on n’a jamais à craindre pareils
écarts. Jusque dans ses inégalités, et quel artiste en est
exempt ? il conserve un mérite assez solide pour n’embar-
rasser jamais ses admirateurs. A côté de deux Chutes d'eau,
portant toutes deux sa signature, tableaux un peu fatigués
par le temps, mais qui, sans rien ajouter à sa renommée,
ne sauraient pourtant la compromettre, voici une œuvre
de choix, digne de prendre rang parmi les meilleures, et
dont l’importance et la perfection justifieraient la primauté.
Au premier plan, un grand chêne, tordant fièrement Son
tronc noueux et dénudé par places, élève jusqu’au haut du
ciel sa puissante ramure, tandis que ses racines se cram-
ponnent au-dessus d’un petit ravin, de chaque côté duquel
le terrain se relève brusquement. A gauche, un large che-
min gravit une pente assez raide, et sur une éminence, à
droite, dominant le pays, une chapelle, une tour et quelques
autres constructions semblent les dépendances d’un riche
domaine. Dans le fond, une zone continue de forêts
s’étend au pied de côtes également boisées. Le soleil est
caché, mais on sent qu’il n’est pas loin, et ses tièdes effluves
caressent doucement les fines dentelures du feuillage. Tout
est calme. A peine si un léger souffle fait onduler les épis
qui jaunissent dans un champ voisin. C’est une de ces
après-midi de la fin de l’été, paisibles, demi-voilées,
imprégnées de senteurs rustiques, pleines de silence et de
molles langueurs. Avec quel art tout cela est écrit! Avec
quel abandon, avec quelle justesse et quelle netteté ces
délicates impressions sont rendues! Dans les gracieuses
inflexions des lignes, dans la variété si riche et en même
temps si mesurée des nuances, il y a comme un accord
secret et une parfaite harmonie entre la poésie de cette
saison et les moyens mêmes que Ruisdael a choisis pour
l’exprimer. D’ordinaire, chez lui, les oppositions sont plus
tranchées, les colorations plus froides, les végétations
plus tourmentées, plus découpées dans leurs silhouettes,
et cette rudesse intentionnelle répond excellemment à
l’âpreté, à la mélancolie un peu sauvage de ses composi-
tions habituelles. Ici, avec un ressort égal et qui tient à
'l’entente toujours irréprochable de l’effet, il est plus con-
tenu et plus souple; ses contours sont noyés et ses transi-
tions insensibles. Une grande modération, une limpidité
extrême, par-dessus tout l’aspect blond de la lumière et sa
merveilleuse unité caractérisent cette production, à

31
 
Annotationen