ET DE LA. CURIOSITÉ
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maleohance (aujourd'hui conjurée), m'incitent à
quelques réflexions touchant les erreurs des jurys,
lesquelles dépassent souvent les bornes de l'ab-
surde. — Voilà donc une musique claire, bien
écrite, mélodique, vivante et rythmée, employant
des accords habituellement entendus, et non pas
ceux de l'avenir ; en un mot, d'une valeur incon-
testable, mais nullement déconcertante, comme
celles où le génie sème des trouvailles toujours
incomprises des contemporains. Eh bien, cette
Lépreuse, à l'un des récents concours de la Ville
de Paris, n'obtint même pas une mention, alors
que le drame lyrique auquel fut attribué le prix
est manifestement, de l'avis de tous les critiques
(et, je suppose, de tous les musiciens) tout à fait
inégal à celui de M. Lazzari. On dira bien, pour
excuser ce jury, qu'il entre dans sa composition
des éléments politiques étrangers à la musique.
Soit ; mais ce n'est pas, selon moi, la vraie raison
de l'erreur inhérente à tous les jurys analogues.
Au concours du prix de Rome (où les artistes
plastiques suivent en général l'avis de leurs
confrères musiciens), au concours Gressent, où
MM. Fauré, Bruneau, d'Indy, Gedalge, etc., ne
surent pas deviner l'exceptionnelle valeur du
Psaume de M. Fl. Schmitt — à tous les concours,
en un mot, non seulement les jurys repoussent
toute œuvre nouvelle, mais, parmi le restant des
œuvres banales, ils s'en vont bien souvent choisir
la plus médiocre. Pourquoi ? D'abord à cause de la
rapidité des jugements et des votes, du peu de
temps dont on dispose; et, surtout, à cause du
bruit et du manque de sérieux qui paralysent
l'intelligence et le sens critique. Il en est alors de
ces jurys comme de toute assemblée qui délibère :
c'est l'avis du moins capable et du moins intelli-
gent qui prédomino. Or, cet avis étant forcém«nt
défavorable à toute originalité, à toute beauté
véritable, c'est nécessairement sur la production la
plus ordinaire et la plus banale que serassemble la
majorité. Ainsi, par le plus grand triomphe du
Panbéotisme, se justifient les belles et profondes
paroles d'Ibsen (1) : « Les majorités ont toujours
tort____Il n'y a de vraiment fort que l'homme qui
est seul. »
Charles Kœchlik.
REVUE DES REVUES
V Le Correspondant (25 février). — La propo-
sition de loi déposée à la Chambre par M. André
Hesse, en vue de l'attribution aux artistes d'un
droit de 2 0/0 sur le produit des ventes succes-
sives de leurs œuvres pendant un délai de cin-
quante ans, inspire à M. François Laurentie des
remarques et des objections judicieuses où sont
montrés, avec les difficultés d'application d'une
semblable loi, les inconvénients qui en résulte-
raient pour les artistes eux-mêmes.
p Revue de Bourgogne (1912, n° 1). — On
trouvera dan s ce fascicule un travail très documenté
de M. A. Cornereau retraçant l'histoire mouve-
mentée de la statue équestre de Louis XIV, par
Le Hongre, élevée sur la Place royale de Dijon et
renversée le 15 août 1792 (reprod. hors texte d'un
(1) Un ennemi du peuple.
joli dessin de J.-B. Lallemand, représentant la
place avec la statue) ; — puis une notice de M. P.
Perrenet sur l'orfèvre contemporain, M. Henri
Debret (1 fig. et 1 planche.)
(N° 2). — Publication, par M. Joseph Calmette,
d'une lettre inédite de Rude au maire de Dijon
ayant trait au paiement de la belle statue
Hêbéet l'aigle de Jupiter conservée aujourd'hui au
musée de cette ville (reprod. de l'œuvre, ainsi que
d'une autre œuvre du maître, Y Amour dominateur,
au même musée), — et note de M. E. Fyot sur le
Portrait de Marie Leczinska du musée de Dijon,
réplique ou copie de celui de Nattier à Versailles
(reprod.).
BIBLIOGRAPHIE
Duccio di Buoninsegna : Studien zur Ge-
schichte der friihsienesischen Tafelmalerei,
vonCurt-H. Weigelt. Leipzig, Hiersemann, 1911.
Un vol. in-8°, av. 79 reprod.
Le 9 juin 1911, il y eut tout justement six cents
ans que la glorieuse Madone do Duccio fut portée
en triomphe dans les rues de Sienne, de l'atelier
du peintre jusqu'au maître-autel de la cathédrale.
Pour célébrer cet anniversaire, la ville do Sienne
a entrepris de publier sur Duccio un livre qui,
ainsi qu'il arrive en ces circonstances, va souffrir
de quelques retards. Un jeune érudit allemand,
M. Curt-H. Weigelt, a su ai-river plus vite. Le
volume que vient d'éditer la librairie Hiersemann
a un aspect somptueux ; toute une moitié en est
composée d'un recueil do soixante-six planches re-
produisant, d'ensemble et de détail, les œuvres do
Duccio ainsi qu'un choix de celles de ses élèves et
imitateurs ; parmi ces dernières, il faut signaler le
délicieux triptyque inédit qui est le joyau de la
collection Perkins, à Assise. Cet album si complet
d'excellentes images mérite une louange sans res-
triction .
Le texte de M. Weigelt comprend un certain
nombre de dissertations sur Duccio, son art et
ses élèves. La biographie du peintre n'ajoute rien
aux documents réunis en 1898 par M. Zisini; mais
M. Weigelt a porté avec raison la nouveauté de
son effort sur l'étude des origines et du dévelop-
pement de l'art du vieux maître, qu'il se refuse à
considérer uniquement comme un disciple et con-
tinuateur des peintres de Byzance. On aimerait
que sa discussion fût appuyée d'une connaissance
plus approfondie des miniatures et des mosaïques
immédiatement antérieures ; il y aurait un intérêt
réel à analyser ainsi, dans leurs éléments icono-
graphiques, toutes les compositions de Duccio ; et
peut-être n'y verrait-on, en somme, que le plus
parfait épanouissement de l'art byzantin.
Deux autres dissertations, conduites avec beau-
coup de précision et d'habileté, sont consacrées,
l'une à la célèbre Madone Rucellai, que l'on a
cessé presque généralement d'attribuer à Cimabuc
pour la restituer à Duccio, l'autre à la Madone do
Guido, dont M. Weigelt admet comme authen-
tique et non restaurée ni modifiée l'inscription,
avec la date fameuse de 1221 (que Milanesi, le pre-
mier, a proposé de lire 1271). La question, qui
paraissait jugée définitivement, ne l'est donc pas
encore, et il faudra y revenir.
A la description et à la reproduction des his-
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maleohance (aujourd'hui conjurée), m'incitent à
quelques réflexions touchant les erreurs des jurys,
lesquelles dépassent souvent les bornes de l'ab-
surde. — Voilà donc une musique claire, bien
écrite, mélodique, vivante et rythmée, employant
des accords habituellement entendus, et non pas
ceux de l'avenir ; en un mot, d'une valeur incon-
testable, mais nullement déconcertante, comme
celles où le génie sème des trouvailles toujours
incomprises des contemporains. Eh bien, cette
Lépreuse, à l'un des récents concours de la Ville
de Paris, n'obtint même pas une mention, alors
que le drame lyrique auquel fut attribué le prix
est manifestement, de l'avis de tous les critiques
(et, je suppose, de tous les musiciens) tout à fait
inégal à celui de M. Lazzari. On dira bien, pour
excuser ce jury, qu'il entre dans sa composition
des éléments politiques étrangers à la musique.
Soit ; mais ce n'est pas, selon moi, la vraie raison
de l'erreur inhérente à tous les jurys analogues.
Au concours du prix de Rome (où les artistes
plastiques suivent en général l'avis de leurs
confrères musiciens), au concours Gressent, où
MM. Fauré, Bruneau, d'Indy, Gedalge, etc., ne
surent pas deviner l'exceptionnelle valeur du
Psaume de M. Fl. Schmitt — à tous les concours,
en un mot, non seulement les jurys repoussent
toute œuvre nouvelle, mais, parmi le restant des
œuvres banales, ils s'en vont bien souvent choisir
la plus médiocre. Pourquoi ? D'abord à cause de la
rapidité des jugements et des votes, du peu de
temps dont on dispose; et, surtout, à cause du
bruit et du manque de sérieux qui paralysent
l'intelligence et le sens critique. Il en est alors de
ces jurys comme de toute assemblée qui délibère :
c'est l'avis du moins capable et du moins intelli-
gent qui prédomino. Or, cet avis étant forcém«nt
défavorable à toute originalité, à toute beauté
véritable, c'est nécessairement sur la production la
plus ordinaire et la plus banale que serassemble la
majorité. Ainsi, par le plus grand triomphe du
Panbéotisme, se justifient les belles et profondes
paroles d'Ibsen (1) : « Les majorités ont toujours
tort____Il n'y a de vraiment fort que l'homme qui
est seul. »
Charles Kœchlik.
REVUE DES REVUES
V Le Correspondant (25 février). — La propo-
sition de loi déposée à la Chambre par M. André
Hesse, en vue de l'attribution aux artistes d'un
droit de 2 0/0 sur le produit des ventes succes-
sives de leurs œuvres pendant un délai de cin-
quante ans, inspire à M. François Laurentie des
remarques et des objections judicieuses où sont
montrés, avec les difficultés d'application d'une
semblable loi, les inconvénients qui en résulte-
raient pour les artistes eux-mêmes.
p Revue de Bourgogne (1912, n° 1). — On
trouvera dan s ce fascicule un travail très documenté
de M. A. Cornereau retraçant l'histoire mouve-
mentée de la statue équestre de Louis XIV, par
Le Hongre, élevée sur la Place royale de Dijon et
renversée le 15 août 1792 (reprod. hors texte d'un
(1) Un ennemi du peuple.
joli dessin de J.-B. Lallemand, représentant la
place avec la statue) ; — puis une notice de M. P.
Perrenet sur l'orfèvre contemporain, M. Henri
Debret (1 fig. et 1 planche.)
(N° 2). — Publication, par M. Joseph Calmette,
d'une lettre inédite de Rude au maire de Dijon
ayant trait au paiement de la belle statue
Hêbéet l'aigle de Jupiter conservée aujourd'hui au
musée de cette ville (reprod. de l'œuvre, ainsi que
d'une autre œuvre du maître, Y Amour dominateur,
au même musée), — et note de M. E. Fyot sur le
Portrait de Marie Leczinska du musée de Dijon,
réplique ou copie de celui de Nattier à Versailles
(reprod.).
BIBLIOGRAPHIE
Duccio di Buoninsegna : Studien zur Ge-
schichte der friihsienesischen Tafelmalerei,
vonCurt-H. Weigelt. Leipzig, Hiersemann, 1911.
Un vol. in-8°, av. 79 reprod.
Le 9 juin 1911, il y eut tout justement six cents
ans que la glorieuse Madone do Duccio fut portée
en triomphe dans les rues de Sienne, de l'atelier
du peintre jusqu'au maître-autel de la cathédrale.
Pour célébrer cet anniversaire, la ville do Sienne
a entrepris de publier sur Duccio un livre qui,
ainsi qu'il arrive en ces circonstances, va souffrir
de quelques retards. Un jeune érudit allemand,
M. Curt-H. Weigelt, a su ai-river plus vite. Le
volume que vient d'éditer la librairie Hiersemann
a un aspect somptueux ; toute une moitié en est
composée d'un recueil do soixante-six planches re-
produisant, d'ensemble et de détail, les œuvres do
Duccio ainsi qu'un choix de celles de ses élèves et
imitateurs ; parmi ces dernières, il faut signaler le
délicieux triptyque inédit qui est le joyau de la
collection Perkins, à Assise. Cet album si complet
d'excellentes images mérite une louange sans res-
triction .
Le texte de M. Weigelt comprend un certain
nombre de dissertations sur Duccio, son art et
ses élèves. La biographie du peintre n'ajoute rien
aux documents réunis en 1898 par M. Zisini; mais
M. Weigelt a porté avec raison la nouveauté de
son effort sur l'étude des origines et du dévelop-
pement de l'art du vieux maître, qu'il se refuse à
considérer uniquement comme un disciple et con-
tinuateur des peintres de Byzance. On aimerait
que sa discussion fût appuyée d'une connaissance
plus approfondie des miniatures et des mosaïques
immédiatement antérieures ; il y aurait un intérêt
réel à analyser ainsi, dans leurs éléments icono-
graphiques, toutes les compositions de Duccio ; et
peut-être n'y verrait-on, en somme, que le plus
parfait épanouissement de l'art byzantin.
Deux autres dissertations, conduites avec beau-
coup de précision et d'habileté, sont consacrées,
l'une à la célèbre Madone Rucellai, que l'on a
cessé presque généralement d'attribuer à Cimabuc
pour la restituer à Duccio, l'autre à la Madone do
Guido, dont M. Weigelt admet comme authen-
tique et non restaurée ni modifiée l'inscription,
avec la date fameuse de 1221 (que Milanesi, le pre-
mier, a proposé de lire 1271). La question, qui
paraissait jugée définitivement, ne l'est donc pas
encore, et il faudra y revenir.
A la description et à la reproduction des his-