MAITRE HERCULE DE PESARO
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ci on compte quatre épées et toutes les autres sont des lames courtes dites « cinque-dea ».
On a défini au cours de cette étude le caractère de ce genre d’œuvres, la manière et
les tendances de l’homme qui, probablement, a été le traducteur des inventions
d’artistes supérieurs, dont il a gardé l’empreinte. Hercule évoquait de grands souvenirs
et des idées hautes ; il était tout imprégné de l’idée antique et, s’étant frotté aux
humanistes; il se dégageait de ses œuvres un parfum littéraire; aussi, au milieu de
productions de pacotille destinées au commerce, a-t-il laissé quelques compositions si
relevées, d’un goût si élevé, et des fourreaux d’épées d’une architecture si noble, qu’ils
sont dignes de figurer à côté des œuvres des grands maîtres de la Renaissance.
L’orfèvre avait le goût des inscriptions, il les demandait aux poètes et aux historiens
de l’antiquité, et souvent aussi aux dictons en langue vulgaire. Parfois il les estropiait,
soit qu’elles fussent abandonnées à de grossiers ouvriers qui ne les comprenaient
pas, soit que le patron de la Bottega n’en connût lui-même pas le sens. Ce maître
Hercule a dû finir sa vie à la solde du duc.de Ferrare, travailler pour Alphonse d’Este,
pour Lucrèce Borgia et Isabelle d’Este, et évoluer dans le nord de l’Italie où nous
retrouvons des armes de lui à Venise, à Bologne, à Parme (aux armes des Sanvitali).
Il représente bien par ses facultés multiples un tempérament de second ordre du
temps de la Renaissance ; quand il se met à la disposition du passant, il fabrique sans
passion et met en œuvre, sans ordre et sans discernement, les éléments qu’il a
empruntés à l’antiquité. Ondoyant et divers, il est Aurifex, et, tenant boutique dans
une spaderia de Ferrare, il travaille pour qui le paie. Quelquefois aussi il lui est arrivé
de prendre l’argent sans livrer la marchandise (c’est le cas d’un grand nombre d’artistes
du temps); mais quand il a l’honneur d’être appelé par un grand personnage ou un
de ces princes souverains qui ont laissé dans l’histoire un sillon sanglant ou lumineux,
comme César Borgia, François Gonzague ou Este, Hercule se redresse, et il parle haut ;
alors on s’étonne de voir que tout est dans tout et qu’une simple lame d’épée sortie
de ses mains ou un fourreau modelé par lui, comme les belles pièces du musée
d’artillerie de Paris, celle des Gaetani et celle du South Kensington, deviennent des
œuvres de la plus haute allure, de vrais monuments d’art qui font songer aux bas-
reliefs antiques. N’eût-il gravé que l’épée de Borgia, la lame de la cinque-dea de la tour
de Londres, celle du prince Frédéric-Charles, et quelques autres, le nom d’Hercule
méritait d’être sauvé de l’oubli ; son bagage ne peut plus que s’augmenter et sa répu-
tation ne peut plus que croître. On peut désormais écrire son nom à côté de celui des
Piccinino, des Andrea de Ferrare, des Lazzarino Caminazzi, des Colombo, et de Serafino
de Brescia son contemporain, qui fut armé chevalier par François Ier auquel il pré-
senta une riche armure sortie de ses mains.
CHARLES YRIARTE.
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ci on compte quatre épées et toutes les autres sont des lames courtes dites « cinque-dea ».
On a défini au cours de cette étude le caractère de ce genre d’œuvres, la manière et
les tendances de l’homme qui, probablement, a été le traducteur des inventions
d’artistes supérieurs, dont il a gardé l’empreinte. Hercule évoquait de grands souvenirs
et des idées hautes ; il était tout imprégné de l’idée antique et, s’étant frotté aux
humanistes; il se dégageait de ses œuvres un parfum littéraire; aussi, au milieu de
productions de pacotille destinées au commerce, a-t-il laissé quelques compositions si
relevées, d’un goût si élevé, et des fourreaux d’épées d’une architecture si noble, qu’ils
sont dignes de figurer à côté des œuvres des grands maîtres de la Renaissance.
L’orfèvre avait le goût des inscriptions, il les demandait aux poètes et aux historiens
de l’antiquité, et souvent aussi aux dictons en langue vulgaire. Parfois il les estropiait,
soit qu’elles fussent abandonnées à de grossiers ouvriers qui ne les comprenaient
pas, soit que le patron de la Bottega n’en connût lui-même pas le sens. Ce maître
Hercule a dû finir sa vie à la solde du duc.de Ferrare, travailler pour Alphonse d’Este,
pour Lucrèce Borgia et Isabelle d’Este, et évoluer dans le nord de l’Italie où nous
retrouvons des armes de lui à Venise, à Bologne, à Parme (aux armes des Sanvitali).
Il représente bien par ses facultés multiples un tempérament de second ordre du
temps de la Renaissance ; quand il se met à la disposition du passant, il fabrique sans
passion et met en œuvre, sans ordre et sans discernement, les éléments qu’il a
empruntés à l’antiquité. Ondoyant et divers, il est Aurifex, et, tenant boutique dans
une spaderia de Ferrare, il travaille pour qui le paie. Quelquefois aussi il lui est arrivé
de prendre l’argent sans livrer la marchandise (c’est le cas d’un grand nombre d’artistes
du temps); mais quand il a l’honneur d’être appelé par un grand personnage ou un
de ces princes souverains qui ont laissé dans l’histoire un sillon sanglant ou lumineux,
comme César Borgia, François Gonzague ou Este, Hercule se redresse, et il parle haut ;
alors on s’étonne de voir que tout est dans tout et qu’une simple lame d’épée sortie
de ses mains ou un fourreau modelé par lui, comme les belles pièces du musée
d’artillerie de Paris, celle des Gaetani et celle du South Kensington, deviennent des
œuvres de la plus haute allure, de vrais monuments d’art qui font songer aux bas-
reliefs antiques. N’eût-il gravé que l’épée de Borgia, la lame de la cinque-dea de la tour
de Londres, celle du prince Frédéric-Charles, et quelques autres, le nom d’Hercule
méritait d’être sauvé de l’oubli ; son bagage ne peut plus que s’augmenter et sa répu-
tation ne peut plus que croître. On peut désormais écrire son nom à côté de celui des
Piccinino, des Andrea de Ferrare, des Lazzarino Caminazzi, des Colombo, et de Serafino
de Brescia son contemporain, qui fut armé chevalier par François Ier auquel il pré-
senta une riche armure sortie de ses mains.
CHARLES YRIARTE.