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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
M. Gobert l'a aidé clans sa tâche, et Ton ne saurait souvent les distinguer l'un
de l'autre. Enfin une pléiade de graveurs habiles ont rendu les dessins avec des tons si
doux, des travaux si fins, que l'on croirait presque avoir les originaux sous les yeux.
Le Pater Je Raisin gâté, le Miroir, Attends-moi, sont vraiment plus que des vignettes,
et nous recommandons instamment aux mamans de bien regarder ces gracieux tableaux
avant de les livrer aux féroces petites mains de leurs enfants. Combien restera-t-il
dans dix ans des dix mille exemplaires déjà sortis des presses de M. Claye?
Ici devrait s'arrêter notre rôle de critique; mais bien que la Gazette des Beaux-
Arts ne soit point une chaire de rhétorique, nous ne voulons point fermer le livre sans
faire à l'auteur un grave reproche. Plus ses vues sont fines et ses intentions délicates,
plus sa morale est ingénieuse et sa donnée originale, moins aussi il avait besoin de
donner en passant une leçon au bon La Fontaine. Pourquoi refaire le Loup et
VAgneau, la Cigale et la Fourmi? J'imagine que La Fontaine n'a point écrit ses fables
pour les petits enfants. Un singulier hasard, leur place peut-être à la tête du premier
livre, ont valu à ces deux fables leur popularité à l'exclusion de beaucoup d'autres
qui les valent bien. Après tout, s'il est plus juste de dire, comme le fait M. Louis
Ratisbonne : « Les agneaux ont raison, les loups ont toujours tort, » serez-vous beau-
coup plus compris des enfants, ces adorables petits matérialistes, qui saisissent mieux
le fait que la moralité, et qui, si je ne me trompe, conservent pour le loup, c'est-à-dire
pour le méchant, une salutaire horreur? Est-il prudent surtout de rejeter au moule des
vers qui sautillent avec cette légèreté :
La cigale ayant chanté
Tout l'été.
Que la morale de cette fable semble égoïste, cette fois je le veux bien; choisissez
mieux alors, car La Fontaine était d'âme tendre et rêveuse; mais au-dessus du fabu-
liste plane toujours le grand écrivain. La forme exquise dont le poëte a revêtu sa pen-
sée lui servira toujours de passe-port, et l'esprit des enfants est comme un vase poreux
dans lequel on ne saurait verser de parfums assez doux. Ceci dit pour l'acquit de notre
conscience, nous n'en félicitons pas moins sincèrement M. Louis Ratisbonne pour le
reste de son volume, et nous souhaitons, ainsi que son éditeur, qu'il lui conquière les
palmes de l'Académie. Ph. B.
RESTAURATION D'UN TABLEAU DE HOLBEIN
Ayant entendu diie qu'un superbe tableau de Holbein, appartenant à madamelaba-
ronne de Rothschild et atteint d'une maladie sérieuse, se trouvait chez M. Haro, nous
nous y* sommes rendu aussitôt. Nous avons trouvé là, en effet, un des plus magnifiques
morceaux du grand maître de Baie : le portrait d'une jeune femme, aux yeux calmes et
pénétrants, aux lèvres aimables et sérieuses, qui sur ses genoux tient un chat qu'elle ca-
resse. Une cornette en toile blanche est posée sur ses cheveux châtains, qui, disposés en
bandeaux un peu négligés, encadrent sans roideur ni dureté les formes pleines de son
visage. Une robe sombre bordée de fourrures, avec crevés aux poignets retenus par des
torsades en or, recouvre en partie une chemisette et laisse s'échapper un riche bijou
délicatement travaillé. Sur le cou, une collerette ornée de broderies noires d'un goût
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
M. Gobert l'a aidé clans sa tâche, et Ton ne saurait souvent les distinguer l'un
de l'autre. Enfin une pléiade de graveurs habiles ont rendu les dessins avec des tons si
doux, des travaux si fins, que l'on croirait presque avoir les originaux sous les yeux.
Le Pater Je Raisin gâté, le Miroir, Attends-moi, sont vraiment plus que des vignettes,
et nous recommandons instamment aux mamans de bien regarder ces gracieux tableaux
avant de les livrer aux féroces petites mains de leurs enfants. Combien restera-t-il
dans dix ans des dix mille exemplaires déjà sortis des presses de M. Claye?
Ici devrait s'arrêter notre rôle de critique; mais bien que la Gazette des Beaux-
Arts ne soit point une chaire de rhétorique, nous ne voulons point fermer le livre sans
faire à l'auteur un grave reproche. Plus ses vues sont fines et ses intentions délicates,
plus sa morale est ingénieuse et sa donnée originale, moins aussi il avait besoin de
donner en passant une leçon au bon La Fontaine. Pourquoi refaire le Loup et
VAgneau, la Cigale et la Fourmi? J'imagine que La Fontaine n'a point écrit ses fables
pour les petits enfants. Un singulier hasard, leur place peut-être à la tête du premier
livre, ont valu à ces deux fables leur popularité à l'exclusion de beaucoup d'autres
qui les valent bien. Après tout, s'il est plus juste de dire, comme le fait M. Louis
Ratisbonne : « Les agneaux ont raison, les loups ont toujours tort, » serez-vous beau-
coup plus compris des enfants, ces adorables petits matérialistes, qui saisissent mieux
le fait que la moralité, et qui, si je ne me trompe, conservent pour le loup, c'est-à-dire
pour le méchant, une salutaire horreur? Est-il prudent surtout de rejeter au moule des
vers qui sautillent avec cette légèreté :
La cigale ayant chanté
Tout l'été.
Que la morale de cette fable semble égoïste, cette fois je le veux bien; choisissez
mieux alors, car La Fontaine était d'âme tendre et rêveuse; mais au-dessus du fabu-
liste plane toujours le grand écrivain. La forme exquise dont le poëte a revêtu sa pen-
sée lui servira toujours de passe-port, et l'esprit des enfants est comme un vase poreux
dans lequel on ne saurait verser de parfums assez doux. Ceci dit pour l'acquit de notre
conscience, nous n'en félicitons pas moins sincèrement M. Louis Ratisbonne pour le
reste de son volume, et nous souhaitons, ainsi que son éditeur, qu'il lui conquière les
palmes de l'Académie. Ph. B.
RESTAURATION D'UN TABLEAU DE HOLBEIN
Ayant entendu diie qu'un superbe tableau de Holbein, appartenant à madamelaba-
ronne de Rothschild et atteint d'une maladie sérieuse, se trouvait chez M. Haro, nous
nous y* sommes rendu aussitôt. Nous avons trouvé là, en effet, un des plus magnifiques
morceaux du grand maître de Baie : le portrait d'une jeune femme, aux yeux calmes et
pénétrants, aux lèvres aimables et sérieuses, qui sur ses genoux tient un chat qu'elle ca-
resse. Une cornette en toile blanche est posée sur ses cheveux châtains, qui, disposés en
bandeaux un peu négligés, encadrent sans roideur ni dureté les formes pleines de son
visage. Une robe sombre bordée de fourrures, avec crevés aux poignets retenus par des
torsades en or, recouvre en partie une chemisette et laisse s'échapper un riche bijou
délicatement travaillé. Sur le cou, une collerette ornée de broderies noires d'un goût