Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 21.1866

DOI issue:
Nr. 1
DOI article:
Delaborde, Henri: Des opinions de M. Taine sur l'art italien
DOI Page / Citation link:
https://doi.org/10.11588/diglit.19278#0020

DWork-Logo
Overview
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
1 h

gazette des beaux-arts.

encore oublier ce qu’il y a de providentiel dans son rôle. C’est suppri-
mer à la fois, dans ses inspirations et dans ses actes, la part de son âme
et la part de Dieu.

Quoi de plus propre pourtant à nous dénoncer la main divine que ces
mystérieuses injustices en vertu desquelles certains élus reçoivent en
abondance, dès le berceau, des dons qui jusqu’au dernier jour seront
refusés à autrui? D’où vient qu’un Raphaël ou un Mozart n’ait en quelque
sorte à se donner que la peine de naître, de laisser faire sa nature pré-
destinée, pour s’élever d’emblée à des hauteurs qui décourageraient les
volontés les plus intrépides et les efforts les plus patients? Sans doute,
Dieu exige que les hommes qu’il dote si largement achèvent et perfection-
nent autant qu’il dépend d’eux son ouvrage, et que, sacrés pour le bien-
fait, ils ne se contentent pas de jouir paisiblement de leurs richesses.
Pour eux aussi la loi du progrès est une loi impérative, le travail opi-
niâtre un devoir. Niera-t-on, toutefois, qu’ils appartiennent à une race
privilégiée, qu’ils forment une dynastie promise, quels que soient les
temps, à une domination certaine sur les gens et sur les choses?

Qu’on ne vienne donc pas nous dire que le siècle seul fait les grands
artistes ; ce sont bien plutôt les grands artistes qui font leur siècle. De là
ce nom de maîtres qu’on leur donne à si juste titre, parce que leur action
est plus personnelle encore, plus durable dans ses effets, plus indépen-
dante des occasions et des circonstances, que la gloire des hommes de
guerre ou que l’autorité des hommes d’Etat. Il est permis de croire
qu’en face d’autres événements et dans d’autres conditions sociales,
Turenne et le maréchal de Saxe, Richelieu et Mirabeau, n’auraient pu
ni faire tout ce qu’ils ont fait au xvne et au xvme siècle, ni mériter
toute la renommée qu’ils ont acquise. Né cent ans plus tôt, Napo-
léon n’eût été peut-être qu’un officier inconnu, ignorant lui-même,
faute d’en trouver l’emploi, les propriétés héroïques et les ressources
prodigieuses de son génie. A quel moment au contraire, dans quelles
conjonctures, sous la tyrannie de quels faits, se figurerait-on Dante ou
Shakespeare à court d’inspirations et d’éloquence, Michel-Ange inactif ou
médiocre, Léonard de Vinci impuissant à révéler la profondeur de son
sentiment ou l’audace de ses découvertes? Si Poussin vivait de nos jours,
il manifesterait sans doute sa pensée sous des formes différentes de celles
qu’il adoptait, il y a plus de deux siècles; mais il n’en aurait pour cela
ni l’âme moins haute, ni l’imagination moins féconde : il n’en serait pas
moins nécessairement Poussin, comme, auprès de nous, Ingres est Ingres
et Rossini est Rossini. En exagérant l’influence des événements contem-
porains sur l’art et sur les artistes, en attribuant à la force aveugle des
 
Annotationen