SALON DE 18 66.
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la mer et sa poésie, c’est tout un ; car la mer est à elle seule un poëme
sans fin. Elle se charge toujours d’être belle.
XXII.
Deux cents paysagistes environ, trente ou quarante peintres de
marines, trente ou quarante peintres d’animaux, tous notables, tous
bien doués, tous dignes d’attention et d’éloges, à divers titres! Quelle
armée! Comment décrire leurs tableaux — si la chose était possible -—
sans desservir l’artiste et sans fatiguer le lecteur? Comment les nommer
seulement, tous ces hommes, la plupart jeunes, impatients de briller,
affamés de gloire et heureux, en attendant, des émotions que leur pro-
cure la campagne ou la mer. Le paysage, nous l’avons dit, est le côté
fort de notre école; c’est là que sa supériorité se montre et que son infé-
riorité se trahit. Là où le paysage monte au premier rang, la peinture
descend au second.
Mais du moins,.jouissons de nos avantages, allons un peu battre les
buissons, laissons-nous conduire par ces jeunes amants auprès de la
femme qu’ils adorent, créature toujours mobile et toujours aimable, qui
change de caractère, de visage, de robe et de couleur devant chacun de
ceux qui l’aiment. Le matin, elle est blonde: c’est le printemps; au
milieu du jour, elle a bruni déjà : c’est l’été; le soir, elle a pris des
teintes ardentes, des rousseurs dorées : c’est l’automne. Il en est qui la
préfèrent quand sa chevelure blanchit sous la neige et qu’elle fait sem-
blant de vieillir... Après tout, c’est à des peintres français qu’elle s’est
montrée dans sa beauté la plus imposante. Pour Nicolas Poussin, elle est
muse; pour Claude Lorrain, elle est dryade, et si quelqu’un a égalé ces
grands paysagistes, personne ne les a surpassés. Mais au temps de
Claude et de Poussin, la figure humaine primait les plus nobles pay-
sages, et s’il avait pu être question alors d’une médaille d’honneur, on
l’aurait décernée à l’auteur des Bergers d'Arcadie, ou du Pyrrhus
sauvé.
Dans un moment de lassitude et d’humeur chagrine, nous nous
sommes écrié : « 11 est donc bien facile de réussir dans le paysage,
puisque tant de peintres y ont réussi ! » Cette exclamation n’était pas
juste : non, il n’est pas facile, en peinture, même de mal faire. 11 faut
en savoir déjà très-long pour se tromper, et le paysage, bien qu’il con-
stitue un genre secondaire, n’en est pas moins hérissé de difficultés sans
nombre. Ceux qui excellent ou qui ont excellé dans cette branche de
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la mer et sa poésie, c’est tout un ; car la mer est à elle seule un poëme
sans fin. Elle se charge toujours d’être belle.
XXII.
Deux cents paysagistes environ, trente ou quarante peintres de
marines, trente ou quarante peintres d’animaux, tous notables, tous
bien doués, tous dignes d’attention et d’éloges, à divers titres! Quelle
armée! Comment décrire leurs tableaux — si la chose était possible -—
sans desservir l’artiste et sans fatiguer le lecteur? Comment les nommer
seulement, tous ces hommes, la plupart jeunes, impatients de briller,
affamés de gloire et heureux, en attendant, des émotions que leur pro-
cure la campagne ou la mer. Le paysage, nous l’avons dit, est le côté
fort de notre école; c’est là que sa supériorité se montre et que son infé-
riorité se trahit. Là où le paysage monte au premier rang, la peinture
descend au second.
Mais du moins,.jouissons de nos avantages, allons un peu battre les
buissons, laissons-nous conduire par ces jeunes amants auprès de la
femme qu’ils adorent, créature toujours mobile et toujours aimable, qui
change de caractère, de visage, de robe et de couleur devant chacun de
ceux qui l’aiment. Le matin, elle est blonde: c’est le printemps; au
milieu du jour, elle a bruni déjà : c’est l’été; le soir, elle a pris des
teintes ardentes, des rousseurs dorées : c’est l’automne. Il en est qui la
préfèrent quand sa chevelure blanchit sous la neige et qu’elle fait sem-
blant de vieillir... Après tout, c’est à des peintres français qu’elle s’est
montrée dans sa beauté la plus imposante. Pour Nicolas Poussin, elle est
muse; pour Claude Lorrain, elle est dryade, et si quelqu’un a égalé ces
grands paysagistes, personne ne les a surpassés. Mais au temps de
Claude et de Poussin, la figure humaine primait les plus nobles pay-
sages, et s’il avait pu être question alors d’une médaille d’honneur, on
l’aurait décernée à l’auteur des Bergers d'Arcadie, ou du Pyrrhus
sauvé.
Dans un moment de lassitude et d’humeur chagrine, nous nous
sommes écrié : « 11 est donc bien facile de réussir dans le paysage,
puisque tant de peintres y ont réussi ! » Cette exclamation n’était pas
juste : non, il n’est pas facile, en peinture, même de mal faire. 11 faut
en savoir déjà très-long pour se tromper, et le paysage, bien qu’il con-
stitue un genre secondaire, n’en est pas moins hérissé de difficultés sans
nombre. Ceux qui excellent ou qui ont excellé dans cette branche de