ROGIER VAN DER WEYDEN.
357
renommée dont il jouissait pendant sa vie, le succès qu’il obtint au delà
des Alpes, décore la galerie de Munich, où il est baptisé d’un autre nom.
Lequel? me demanderez-vous. Je vous le donne en mille... mais vous ne
le devinerez pas. Aussi vous le dirai-je tout à l’heure, quand j’aurai
décrit ce chef-d’œuvre encore inapprécié, que l’ombre voile à demi dans
une grande salle ineptement construite, et que l’ignorance, l’apathie
générale pour le beau, ont enveloppé d’une ombre encore plus épaisse.
Il figure l’Adoration des Mages. La Vierge, assise au milieu d’une
ruine, porte sur ses genoux l’enfant prédestiné que les voyageurs adorent
et qui les montre à sa mère ; deux monarques offrent leurs présents, le
genou en terre. A gauche de Marie, saint Joseph ; au-dessus de sa tête,
deux anges qui planent. Les rois sont escortés de cinq pages ou servi-
teurs. Dans le fond, des cavaliers, des habitations, un paysage.
Les premiers plans charment de loin, attirent par leur vigueur et
leur beauté. Les personnages, tout en conservant l’ingénuité de l’époque,
manifestent un goût délicat, sont rendus avec une perfection et une jus-
tesse qui provoquent l’étonnement, qui font chercher sur le tableau des
indices chronologiques. L’humble mère a une grâce d’attitude et une
grâce morale, une expression douce et réfléchie, où l’on sent comme le
début d’un style nouveau, comme la primeur d’une saison naissante.
Son costume est agencé de la façon la plus habile. Le nouveau-né, un
peu grêle encore, suivant l’usage du temps, offre au spectateur une jolie
figure, aimable et naïve. Saint Joseph, traité d’habitude comme un per-
sonnage insignifiant, même au xve siècle, même sur les tableaux de
Rogier van der AVeyden, nous apparaît ici avec un air de bonté, de
droiture, et porte à la scène une attention qui lui donne du caractère.
Au-dessus de Marie planent deux anges charmants, baignés en quelque
sorte dans de longues robes flottantes, Lune rose et l’autre lilas, cou-
leurs tendres qu’affectionnait le disciple de Jean van Eyck. Le premier
des romanesques visiteurs, homme d’un âge mûr, comme l’attestent ses
cheveux grisonnants, a un type plein d’élégance et de finesse. On trou-
verait bien peu de têtes préférables, même dans les tableaux postérieurs,
même aux plus belles époques de l’art. Sa légère chevelure, par une
combinaison qui révèle un grand coloriste, se détache sur la robe vert
pâle d’un personnage placé près de lui et qui se retourne pour l’exami-
ner : or, la chevelure et la robe sont précisément du même ton. Le roi
nègre joint à la beauté des traits une physionomie intelligente, et son
visage est si bien exécuté, que la couleur uniformément sombre de sa
peau ne nuit pas au relief des chairs. Un personnage qui arrive, le cha-
peau à la main, la figure encadrée de cheveux épais et d’une barbe
357
renommée dont il jouissait pendant sa vie, le succès qu’il obtint au delà
des Alpes, décore la galerie de Munich, où il est baptisé d’un autre nom.
Lequel? me demanderez-vous. Je vous le donne en mille... mais vous ne
le devinerez pas. Aussi vous le dirai-je tout à l’heure, quand j’aurai
décrit ce chef-d’œuvre encore inapprécié, que l’ombre voile à demi dans
une grande salle ineptement construite, et que l’ignorance, l’apathie
générale pour le beau, ont enveloppé d’une ombre encore plus épaisse.
Il figure l’Adoration des Mages. La Vierge, assise au milieu d’une
ruine, porte sur ses genoux l’enfant prédestiné que les voyageurs adorent
et qui les montre à sa mère ; deux monarques offrent leurs présents, le
genou en terre. A gauche de Marie, saint Joseph ; au-dessus de sa tête,
deux anges qui planent. Les rois sont escortés de cinq pages ou servi-
teurs. Dans le fond, des cavaliers, des habitations, un paysage.
Les premiers plans charment de loin, attirent par leur vigueur et
leur beauté. Les personnages, tout en conservant l’ingénuité de l’époque,
manifestent un goût délicat, sont rendus avec une perfection et une jus-
tesse qui provoquent l’étonnement, qui font chercher sur le tableau des
indices chronologiques. L’humble mère a une grâce d’attitude et une
grâce morale, une expression douce et réfléchie, où l’on sent comme le
début d’un style nouveau, comme la primeur d’une saison naissante.
Son costume est agencé de la façon la plus habile. Le nouveau-né, un
peu grêle encore, suivant l’usage du temps, offre au spectateur une jolie
figure, aimable et naïve. Saint Joseph, traité d’habitude comme un per-
sonnage insignifiant, même au xve siècle, même sur les tableaux de
Rogier van der AVeyden, nous apparaît ici avec un air de bonté, de
droiture, et porte à la scène une attention qui lui donne du caractère.
Au-dessus de Marie planent deux anges charmants, baignés en quelque
sorte dans de longues robes flottantes, Lune rose et l’autre lilas, cou-
leurs tendres qu’affectionnait le disciple de Jean van Eyck. Le premier
des romanesques visiteurs, homme d’un âge mûr, comme l’attestent ses
cheveux grisonnants, a un type plein d’élégance et de finesse. On trou-
verait bien peu de têtes préférables, même dans les tableaux postérieurs,
même aux plus belles époques de l’art. Sa légère chevelure, par une
combinaison qui révèle un grand coloriste, se détache sur la robe vert
pâle d’un personnage placé près de lui et qui se retourne pour l’exami-
ner : or, la chevelure et la robe sont précisément du même ton. Le roi
nègre joint à la beauté des traits une physionomie intelligente, et son
visage est si bien exécuté, que la couleur uniformément sombre de sa
peau ne nuit pas au relief des chairs. Un personnage qui arrive, le cha-
peau à la main, la figure encadrée de cheveux épais et d’une barbe