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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 21.1866

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Nr. 6
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Saint-Victor, Paul-Jacques-Raymond Bins de: La Vénus de Milo
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LA VÉNUS DE MILO.

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des vies immortelles. Son léger mouvement accuse la rondeur gran-
diose du menton marqué d’un imperceptible méplat.

La beauté coule de cette tête divine et se répand sur le corps, à la
façon d’une clarté. Le cou n’affecte point ces molles inflexions de cygne
que la statuaire profane prête à ses Vénus. Il est droit, ferme, presque
rond, comme un fût de colonne supportant un buste. Les épaules étroites
développent, par leur contraste, l’harmonie d’un sein digne, comme celui
d’Hélène, de servir d’empreinte aux coupes de l’autel, sein doué d’une
virginité éternelle, que l’Amour n’a pas fatigué en l’effleurant de ses
lèvres, auquel les quatorze enfants de Niobé pourraient boire sans altérer
son contour. Le torse offre ces plans cadencés et simples qui marquent
les divisions de la vie. La hanche droite, assouplie par l’inclinaison de
la pose, prolonge son ondulation dans la draperie glissante que le genou,
porté en avant, laisse retomber en plis majestueux.

Mais la beauté sublime est la beauté ineffable. La langue d’Homère et
de Sophocle serait seule digne de célébrer cette royale Vénus; la rondeur
du rhythme hellénique pourrait seule mouler, sans les dégrader, ses
formes parfaites. Par quelle parole exprimer la majesté de ce marbre
trois fois sacré, l’attrait mêlé d’effroi qu’il inspire, l’idéal grandiose et
ingénu qu’il révèle? Le visage ambigu des sphinx est moins mystérieux
que cette jeune tête en apparence si naïve. D’un côté, son profil exhale
une douceur exquise; de l’autre, la bouche contracte le tour, l’œil prend
l’obliquité d’un dédaigneux défi. Piegardez-la de face : la figure apaisée
n’exprime plus que la confiance de la victoire, la plénitude du bonheur.
— La lutte n’a duré qu’un instant; d’un regard, Vénus sortant des flots
a mesuré son empire. Les Dieux et les hommes ont reconnu sa puis-
sance... Elle met le pied sur la plage et s’expose, demi-nue, à l’adoration
des mortels.

Mais cette Vénus n’est pas la Cypris frivole d’Anacréon et d’Ovide,
celle qui forme l’Amour aux ruses érotiques, et à laquelle on immole les
oiseaux lascifs. C’est la Vénus Céleste, la Vénus Victorieuse, toujours
désirée, jamais possédée, absolue comme la vie, dont le feu central réside
dans son sein; invincible comme l’attrait des sexes auquel elle préside,
chaste comme l’Éternelle Beauté qu’elle personnifie. C’est la Vénus qu’a-
dorait Platon, et dont César donnait le nom — Venus victrix — pour
mot d’ordre à son armée, la veille de Pharsale. Elle est la flamme qui
crée et qui conserve, l’instigatrice des grandes choses et des projets
héroïques. Ce qu’il y a de pur dans les affections terrestres, l’âme des
sens, l’étincelle créatrice, la particule sublime mêlée à l’alliage des pas-
sions grossières, tout cela lui appartient de plein droit. Le reste revient
 
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