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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 21.1866

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Nr. 6
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Saint-Victor, Paul-Jacques-Raymond Bins de: La Vénus de Milo
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https://doi.org/10.11588/diglit.19278#0558

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LA VÉNUS DE MILO.

541

âmes de hautes pensées et de vils désirs, les voluptés saintes et les
obscènes convoitises. Mais l’outrage ne l’atteint pas, l’injure ne l’offense
pas, l’écume quelle a déchaînée ne remonte point jusqu’à elle. Debout
sur son piédestal, elle se recueille en elle-même et fait tourner tranquil-
lement son globe étoilé.

Volge sua sfera e beata si gode.

Qui n’a senti en entrant au Louvre, dans la salle où règne la Déesse,
cette sainte terreur, — deisadaîmonia, — dont parlent les Grecs? Son
attitude est lière, presque menaçante. La haute félicité qu’exprime son
visage, ce bonheur inaltérable que puise dans son essence un être parfait,
vous consterne et vous humilie. 11 n’y a pas de squelette dans ce corps
superbe, ni de larmes dans ces yeux aveugles, ni d’entrailles dans ce
torse où circule un sang calme et régulier comme la sève des plantes.
Elle est de la race lapidaire de Deucalion et non de la famille de sang et
de larmes engendrée par Eve. On se souvient de cet Hymne d’Apollon
attribué à Homère, où sourit cette strophe d’un mépris si olympien,
d’une sérénité si cruelle : « Et les Muses en chœur, se répondant avec
« leurs belles voix, se mettent à chanter les dons éternels des dieux et
« les misères infinies des hommes, lesquels, ainsi qu’il plaît aux Immor-
« tels, vivent insensés et impuissants, et ne peuvent trouver un remède
« à la mort ni une défense contre la vieillesse. »

Laissez le charme agir. Fatigué des doutes et des angoisses de la
pensée moderne, reposez-vous au pied du marbre auguste, comme à
l’ombre d’un chêne antique. Bientôt une paix profonde coulera dans votre
âme. La statue vous enveloppera de ses linéaments solennels, vous vous
sentirez comme enlacé dans ses bras absents. Elle vous élèvera doucement
à la contemplation de la beauté pure. Sa calme vitalité passera dans votre
être. La lumière et l’ordre se feront dans votre esprit obscurci par de
vains rêves, obsédé par des fantômes gigantesques. Vos idées prendront
le tour simple des pensées antiques. 11 vous semblera renaître à l'aurore
du monde, alors que l’homme adolescent foulait d’un pied léger la terre
printanière, et que le rire éclatant des dieux retentissait sous les voûtes
de l’Olympe, comme un joyeux tonnerre dans un ciel serein.

PAUL DE SAINT-VICTOR.
 
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