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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 21.1880

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Mantz, Paul: Adrien Brauwer, 2
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https://doi.org/10.11588/diglit.22841#0037

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32

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

bouche et en laisse sortir des spirales de fumée blanche qu’il contemple
avec délice. Les yeux sont admirables, et ils s’éclairent d’un rayon d’une
vitalité tellement intense que le regard un peu fou de ce voluptueux fait
paraître endormis ou atones tous les regards environnants. Il y a là
quelque chose qui semble dépasser les possibilités de la peinture. Dans
le caractère général de la physionomie, on peut évidemment trouver un
principe caricatural, la note volontaire d’une exagération systématique.
Mais ici la comédie est cherchée, non dans la bizarrerie d’un caprice
arbitraire qui altère les formes, mais dans une sorte de manière triom-
phante de souligner l’accent individuel et de creuser les surfaces jusqu’à
l’âme. C’est de la caricature héroïque.

Au point de vue de la coloration, le Fumeur de Brauwer est, comme
dirait Brantôme, un peu « mauricaud ». lia ces chairs brunes et chaudes
qui peuvent venir de l’atelier de Frans Hais et d’un voyage en Hollande,
mais qui —je l’ai déjà indiqué — ne sont pas sans analogie avec les
carnations fauves du vieux Breughel et de son fils. L’exécution est moins
caressée que dans les Brauwer de la dernière manière; la liberté du
pinceau s’est accrue en raison de la dimension exceptionnelle que l’ar-
tiste a donnée à la tête de son personnage. Enfin, la peinture porte dans
le bas, à droite, le monogramme AB, marque ordinaire de Brauwer.

Lorsqu’on regarde un instant ce Fumeur, si passionnément attentif à
son plaisir, on se persuade que Brauwer n’a pas eu seulement le souci
de l’œuvre pittoresque : il a l’air d’avoir eu une idée, il a voulu peindre
une tête d’expression, un symbole en prose. Ce voluptueux, qui s’enivre
de sa fumée, paraît représenter Y Odorat. Brauwer aurait-il donc peint
une série de tableaux, allégories familières destinées à personnifier les
Cinq Sens? Pourquoi pas? Il y a dans les biographies une indication qui
n’est peut-être pas complètement chimérique. On se rappelle le passage
de Descamps : « Le jeune Brauwer est chez Frans Hais, qui l’a séquestré
dans un grenier, et qui s’approprie malhonnêtement les résultats du travail
du pauvre diable. Un jour, des camarades ont la curiosité de savoir ce
que le captif fait dans sa prison. Un espionnage amical s’organise, on
découvre que Brauwer fait constamment des chefs-d’œuvre. Un de ces
jeunes gens, dit Descamps, lui proposa alors de peindre les Cinq Sens à
quatre sols pièce. » Malgré la fantaisie dont elle s’enguirlande, l’anecdote
peut correspondre au souvenir d’un fait réel.

M. Lacaze avait retrouvé l’Odorat. Existe-t-il quelque part des
tableaux de Brauwer qui représentent les autres sens? Pour moi, je l’ai
toujours cru. Et, comme il n’est pas mauvais de conter sa peine à un ami,
M. Louis Gonse, à qui j’avais dit mon inquiétude, m’a apporté un com-
 
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