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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 21.1880

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Nr. 1
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Mantz, Paul: Adrien Brauwer, 2
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https://doi.org/10.11588/diglit.22841#0054

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

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choses violentes, comme une rixe d’ivrognes qui s’égorgent, ou doulou-
reuses, comme le cri du patient aux mains d’un chirurgien malhabile, il
met une peinture très douce et très caressée. Il est furieux et hérissé
en dessous, calme et velouté à la surface; et, bien que le fait puisse
paraître inexplicable, cette contradiction aboutit à une harmonie. Le lec-
teur est invité à n’éprouver ici aucune surprise. Il sait que l’art est
capable de toutes les impossibilités, et il se rappelle que Léonard de
Vinci, ayant dessiné une hideuse caricature, l’enveloppe de la grâce
lombarde.

Cette douceur d’exécution est bien visible dans les admirables Brauwer
de la pinacothèque de Munich, les plus beaux que nous ayons encore
rencontrés. Mais cette façon de dire les choses n’enlève rien à la puis-
sance de l’invention, au mouvement des scènes représentées. Lorsque
Brauwer peint un buveur furieux qui va briser une cruche sur la tête
de son collègue, il est tragique; il est paternel et tendre quand il met en
scène la famille, les enfants, l’humble foyer du pauvre. Il a une manière
à lui d'égayer les tristesses de la chaumière : il y introduit un peu
de musique, et, presque toujours, il entr’ouvre sur la campagne verte
une fenêtre où passent le rayon, la gaieté, l’idéal. Son art est profon-
dément humain. Ce maître singulier, pour lequel la trivialité aurait été
une muse, dit quelque chose à la pensée. Dans la nature étudiée patiem-
ment, il trouve le germe de l’exagération, qui, sans être infidèle au détail
exact, l'agrandit et le hausse au niveau d’un caractère puissamment
généralisé. Tout démontre dans ses peintures la gravité du travail intel-
lectuel et l’affirmation réfléchie des certitudes volontaires.

11 y a donc un désaccord évident entre la physionomie médiocrement
morale que la légende prête à Brauwer et le caractère sérieux de son
œuvre. Si l’artiste a passé sa vie à se griser avec Joost van Craesbeck, à
jouer aux cartes avec des chenapans, à se dérober par des moyens
malhonnêtes aux poursuites de ses créanciers ameutés, comment a-t-il
pu, d’une main si sûre et d’une âme si tranquille, fixer dans des images
profondément étudiées la représentation des mœurs populaires et nous
en laisser un si admirable procès-verbal? Il doit s’être introduit dans la
biographie de Brauwer, telle que les vieux livres la racontent, une grande
part de roman et de mensonge. Ces mœurs désordonnées, cette ivresse
malsaine, ces escroqueries, puisque le mot a été prononcé, nous sont à
bon droit suspectes.

Nous trouvons d’ailleurs, dans le portrait de notre ami, une autre
raison de douter. Ce portrait, c’est celui qui a été gravé par Bolswert,
d’après Van Dyck, et dont l’esquisse en grisaille serait conservée chez
 
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