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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 21.1880

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Nr. 1
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Ephrussi, Charles: À propos d'une gravure inconnue du XVe siècle
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https://doi.org/10.11588/diglit.22841#0099

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92

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

son style tout primitif et la naïveté du faire, la tête anonyme respire cette grâce simple
et un peu raide, ce charme étrange qui trahissent à n’en pas douter un grand maître
du jeune et beau, tendre et sincère xv° siècle. L’artiste n’a point eu à sa disposition
des moyens d’exécution en rapport avec le sentiment élevé et fin qui inspirait son
œuvre; la conception est nette et délicate, mais la main, tout habile qu’elle est, se
sert évidemment d’un procédé qui ne lui est pas familier. De là une curieuse com-
plexité d’impression en face de ce morceau d’une saveur bizarre. Une ligne ferme et
incisive dessine tout le profil, depuis le haut du front jusqu’au-dessous du cou; les
yeux, la bouche, les narines et la nuque sont également indiquées par un simple
trait. Le costume seul (bout de corsage, collier et coiffure) est traité avec une grande
recherche de détails. L’élégance sévère de l’attitude vient surtout d’un cou long et
mince, véritable cou de cygne, sur lequel la tète est aristocratiquement portée.

Telle est l’œuvre que M. Lippmann soumet à un minutieux examen pour arriver à
des conclusions fortement motivées sur sa date approximative et sur la profession pro-
bable de l’auteur. Le costume est évidemment celui d’une Italienne de haut rang du
milieu du xve siècle; on en retrouve les principaux détails dans les figures de femmes
de l1'Adoration des Rois de Gentile da Fabriano à l’Académie de Florence; sur un
cassone de la même galerie, qui représente le mariage de Lisa Ricasoli avec Boccacio
Adimari en 4421; dans un Triomphe de la Chaslelé de l’école de Piero délia Fran-
cesca à l’Académie de Dusseldorf; enfin dans la Vénus décrite par Passavant (t. V,
p. 32) et attribuée à Baccio Baldini. On note encore quelques traits de ce costume dans
la fresque (Salomon et la Reine de Saba) de Piero délia Francesco à San Fran-
cesco d’Arezzo (4 453-54), dans les statues de Vertus qui décorent la porte de la Banco,
dei Medici à Florence, dans les médailles de Matteo de’ Pasti représentant le profil
d’Isotla de Rimini (4446) 1 et dans un buste qu’on croit être celui de la même Isotta,
attribué à Mino de Fiesole, au Campo Santo de Pise. L’étoffe qui pare le buste de
notre gravure est épaisse et dure, d’un lourd brocart, bordée dJun galon de pierres et
perles fines qui réparait dans la coiffe, le tout d’un goût semi-oriental, semi-italien. Ce
genre d’étoffe, ne pouvant se prêter aux ondulations de la draperie, fut abandonnée dans
la seconde moitié du xvc siècle par les artistes, qui lui substituèrent des tissus plus
moelleux et partant plus favorables à la distribution savante des plis. Aussi ces
rigides et massifs brocarts se rencontrent-ils beaucoup plus avant qu’après 4 460.

D’autre part, la facture de l’estampe de Berlin trahit un mode de gravure des
plus primitifs : l’artiste se sert d’un instrument impropre 'a tracer dés lignes fines et
délicates, qui pourrait être le fer du ciseleur plutôt que le burin du graveur. De là un
trait large dans le développement des lignes; de là encore, dans les parties foncées et
ombrées, des tailles courtes et profondes, finissant en pointes brisées et aiguës; quant
aux hachures croisées, l’artiste les ignore.

En outre, reconnaissant l’insuffisance de ses moyens d’exécution, il supprime toutes
les parties modelées du visage qui exigeraient des gradations délicates ; la rondeur de
la joue n’est indiquée que par un ton rouge d’une charmante légèreté, une sorte de
duvet qui colore très heureusement le visage et que notre reproduction ne pouvait
rendre.

En somme, ce morceau est d’un art très sensiblement plus primitif que les plus
anciennes gravures italiennes : ainsi ni les rudes Mois du calendrier attribués à Baccio

1. Médailleurs italiens des xve et xvie siècles, de M. A. Armand, p. 12, n° 17, etp. 13, n° 21.
 
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