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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 21.1880

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Nr. 3
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Montaiglon, Anatole de: Antiquités et curiosités de la ville de Sens, 3
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https://doi.org/10.11588/diglit.22841#0271

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258

GAZETTE DES BEUJX-ARTS.

étroits, aux manches en tuyau, qui ne s’évasent que pour finir, aux longues
chausses justes, aux pieds pointus, à la chaîne passée en bandoulière
et garnie de grelots, à mille détails qui arrêtent et qui amusent. Il y en
a plus que dans une peinture, et c’est la nature même de l’ouvrage qui
a fait aller l’artiste dans cette recherche et cette prodigalité de richesse;
mais ce qui prouve son habileté, c’est l’importance que conservent les
têtes et les mains, les seules choses claires de toute cette symphonie de
couleurs, qui chatoie finement et sans brillants tapageurs. Quant aux
femmes, elles sont blanches, poupines et minces comme une ligne; elles
ont les yeux bleus ou marron clair et bien fendus, la poitrine étroite et
petite, les fronts hauts, lisses, brillants, et les cheveux sous leurs coiffes.
C’est la jeunesse même et la fraîcheur. Les hommes ont plus d’accent,
avec leurs grands cheveux d’un blond presque jaune. Mais la merveille
comme grâce, c’est la tête de Salomon ; elle l’emporte sur toutes les autres.

Maintenant, à quelle date, à quelle école faut-il attribuer ces merveil-
leuses tapisseries, qui valent des tableaux, et qui se pourraient encadrer
et accrocher dans la plus belle galerie du monde, à côté des panneaux
des meilleurs maîtres flamands de la fin du xve siècle? Dans le morceau,
maintenant à part, trois anges jouant de l’orgue, de la harpe et du luth,
et trois anges chanteurs accostent et encadrent les armes d’un cardinal de
Bourbon, très belles et très fines; mais la tapisserie est antérieure à l’ar-
chevêque de Sens, et c’est une addition ; la tapisserie était à Sens de son
temps, et il y a fait mettre ses armes : les parties cousues ou rentraites
sont si fréquentes dans les tapisseries de tous les temps qu’il est inutile
d’en citer des exemples, et elles portent le plus souvent sur des change-
ments de chiffres, de dessins et d’armoiries. Il n’y a pas de doute sur la
date et sur le goût; ce ne peut être qu’un ouvrage de la fin du xve siècle
ou de l’extrême commencement du xvi"; l’esprit de la composition et les
détails des costumes relèvent de l’école flamande, dont la recherche
et l’influence sont manifestes. Mais, quand, un peu avant, l’imitation
flamande avait pénétré jusqu’en Italie, la France, entraînée par l’exemple
des ducs de Bourgogne, y a été d’autant plus sensible et pendant d’autant
plus longtemps que ce n’était qu’un développement et une modification
du sentiment antérieur de l’art du moyen âge. Aussi la première pensée
est de croire à ce que cela vienne de quelque oratoire princier, peut-être
même de la chapelle d’un duc, et même, à cause des triomphes féminins
qui en sont le thème et le motif, d’une duchesse de Bourgogne. Après
Morat et après Nancy, il s’est éparpillé en Europe et surtout en France
tant de tapisseries de Charles le Téméraire que la supposition n’aurait
rien d’invraisemblable.
 
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