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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 21.1880

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Nr. 5
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Ephrussi, Charles: Exposition des artistes indépendants
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https://doi.org/10.11588/diglit.22841#0507

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486

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

se débarrasser de toute convention; se mettre en face de la nature et l’interpréter
sincèrement, brutalement, sans se préoccuper de la manière officielle de voir; traduire
scrupuleusement l’impression, la sensation, toute crue, tout étrange qu’elle puisse
paraître; présenter l’être, vivant de geste et d’attitude, remuant, dans l’atmospbère et
la lumière fugitives et toujours changeantes; saisir au passage l’incessante mobilité de
la coloration de l’air; négliger à dessein les tons particuliers pour atteindre une unité
lumineuse dont les éléments divers se fondent dans un ensemble indécomposable et
arrivent par les dissonances mêmes à l’harmonie générale ; faire en sorte que les figures
soient inséparables des fonds, qu’elles en soient comme la résultante, et que, pour
goûter l’œuvre, il faille l’embrasser dans son entier et la regarder à la distance
voulue : tel est l’idéal de la nouvelle école. Elle n’a pas appris le cathéchisme optique;
elle traite avec dédain la légalité picturale; elle rend ce qu’elle voit comme elle le
voit, spontanément, bien ou mal, sans ménagement, sans commentaire, sans péri-
phrase. Dans son horreur du convenu, elle cherche les sujets inédits ; elle hante les
coulisses des théâtres, les cafés, les cabarets, les caboulols même; les bals de barrière
ne lui font point peur, et elle canote à Asnières ou à Argenteuil. Ces Ostade, ces
Teniers, ces Brauwer contemporains ont la passion du commun, mais sans la relever
par la bonhomie piquante de l’expression, et en donnant aux figures des proportions
que ne comportent pas de pareils sujets. Les grands Flamands comprenaient que des
buveurs de guinguette devaient être de dimensions discrètes, en accord avec la banalité
même de leur occupation, et se noyer dans les teintes argentées ou dorées d’un clair-
obscur savamment étudié. Nos modernes font grand, sans se demander si la valeur
du sujet permet de si ambitieuses proportions; ils font laid, systématiquement, par
opposition au beau suranné; ils font vulgaire, par haine de l’élégant; peintres en rup-
ture de ban, si l’on veut, mais peintres.

Cette esthétique produit parfois de singuliers résultats; voyez plutôt M. Degas : il
choisit des types do petites danseuses, grêles, de formes incertaines, aux traits désa-
gréables, repoussants; il leur donne des mouvements sans harmonie, et, sur ce sujet
bizarre, il répand un fin coloris, une lumière délicate qui caresse le plancher et le
décor; la valeur des tons est d’une justesse étonnante, qui met chaque chose à son
plan, malgré une perspective souvent fantaisiste; l’atmosphère artificielle du théâtre
n’a jamais été plus savamment rendue; jamais on n’a mieux fait frissonner les jupes
vaporeuses et légères du corps de ballet; le peintre reste distingué dans la laideur des
figures. Du même artiste, voici une Femme à sa toilette, debout, vue do dos, mal
mouvementée, ébauchée à peine, dessinée à l’emporte-pièce et, croirait-on, sans aucun
sentiment de la forme. Et cependant il suffit de regarder rapidement les bustes de
femmes dessinés sur papier jaunâtre et une étude de tête (n° 43) pour reconnaître en
M. Degas non seulement un dessinateur plus qu’estimable, mais un élève des grands
Florentins, de Lorenzo di Credi et de Ghirlandajo, et surtout d’un grand Français,
M. Ingres. Dans l'Examen de danse et dans les Deux Danseuses (car M. Degas a une
prédilection connue pour les sujets chorégraphiques), quelles attitudes disgracieuses,
quels membres anguleux et disloqués se déhanchant avec des mouvements de clown
qui n’a jamais songé que Terpsichore est une Musel Une danseuse, surtout, se frotte
les jambes comme ferait un masseur de quelque hammam. En dépit de ces vulgarités
voulues, il faut bien louer une hardiesse de raccourcis, une force étonnante de dessin
dans ces bras tendus et dans ces mains même si peu indiquées; une observation spi-
rituelle, dirigée uniformément sur les misères intimes des prêtresses de l’art har-
 
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