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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 21.1880

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Nr. 6
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Bonnaffé, Edmond: Physiologie du curieux, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.22841#0515

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

Qui pourrait compter les mille et une incarnations du curieux ? Le
Protéé est insaisissable; il change de physionomie suivant le caractère,
les passions, le tempérament, l’humeur; il varie d’un siècle à l’autre,
d’une latitude à l’autre, d’un homme à l’autre, du jeune homme à
l’homme fait, de l’homme fait au vieillard.

Un tel, dans sa jeunesse, raffolait de la Dubarry; à trente ans, il
jette par-dessus bord ses vieilles amours, entre chez Louis XIV et fait la
cour à La Yallière ; à trente-cinq ans, il se passionne pour Marion
Delorme; à quarante, pour Diane de Poitiers; hier, il contait fleurette à
la Renaissance ; aujourd’hui, le voilà fou du moyen âge; demain, il tom-
bera aux pieds d’Aspasie ou de Phryné, leur jurant un éternel amour.
Il remonte ainsi d’âge en âge, à mesure que son goût, comme un vin
généreux, se dépouille en vieillissant.

Raphaël cherche partout son phénix; il l’aperçoit, le poursuit, le
possède et n’y pense plus. Il traite ses amours à la façon du poète,

__ Comme une beauté qu’on n’a point possédée,

On l’adore, on la suit, ses détours sont charmants.

Pendant que l’on tisonne en regardant la cendre,

On la voit voltiger ainsi qu’un salamandre.

Mais, dès qu’ello se rend, bonsoir, le charme cesse.

Sa conquête d’hier, autant en emporte le vent; celle de tout à l’heure
lui déplaît déjà. La seule, l’unique, son rêve, c’est la conquête de
demain, qu’il n’a pas faite, qu’il fera et qu’il jettera au vent comme les
autres. Lassé de tout et jamais assouvi, une Messaline.

L’un n’aime que les inconnues, c’est lui-même qui fait les réputa-
tions. L’autre n’aime que les réputations toutes faites; il court les encans
fameux, choisit les beautés à la mode, celles qui ont déjà passé par des
mains célèbres, qui ont fait parler d’elles.

Un autre n’a qu’un amour, qu’une admiration, qu’une idole, sa der-
nière acquisition, sa dernière maîtresse.

Celui-ci choisit une soupente inaccessible, y cache son trésor et
s’enterre tout vivant dans sa nécropole. Celui-là fait venir l’emballeur,
enveloppe chaque objet soigneusement et se met en route avec ses
caisses, promenant de ville en ville sa collection ambulante, son sérail
de voyage.

J’ai vu un homme pâlir et chanceler devant l’édition originale des
Fables de La Fontaine, dans une reliure en maroquin bleu doublée de
maroquin rouge, portant les insignes de la Toison d’or : l’exemplaire de
Longepierre relié par Boyet !
 
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