Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2. Pér. 33.1886

DOI Heft:
Nr. 4
DOI Artikel:
Guillaume, Eugène: De l'esthétique dans l'enseignement de l'art
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.19427#0312

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
DE L’ESTHÉTIQUE ET DE L’ART.

281

d’idéal; de l’autre, que les théories n’ont point d’applications et que,
par conséquent, elles sont inutiles.

Il faut bien le dire : ce dissentiment a une cause profonde.
L’esthétique et l’art, tout en ayant un même objet, le poursuivent
dans deux mondes différents. L’esthétique envisage le Beau confor-
mément à sa propre fin; elle s’exerce dans une région purement
intellectuelle : elle s’élève à l’absolu. L’art, en même temps que son
but, voit ses procédés, ses matériaux, ses ressources et son expression
multiple qui le met en relation avec la vie. Le domaine dans lequel
il se tient est celui de la forme sensible. Ce n’est pas tout. La langue
de la philosophie est abstraite : elle ne rappelle à l’esprit que la
pensée, ne s’adresse qu’à la raison; tandis que l’art nous parle au
moyen de sons et de figures qui, dans leur réalité, vont tout d’abord
frapper nos sens. Ainsi s’explique que l’art et la philosophie puissent
vivre sans bien comprendre par quels liens ils sont unis. Mais de la
sorte tons deux risquent de s’égarer : l’art en méconnaissant l’autorité
de l’esprit et la philosophie en oubliant la réalité.

Une pareille situation, quelle qu’en soit la cause, est de tout point
fâcheuse. Je l’ai peut-être exposée en termes trop absolus; mais
en y réfléchissant on reconnaîtra qu’elle existe. A ne considérer
les choses que d’une manière générale et comme un artiste peut
le faire, il semble que, pour être juste, on ne doive jamais oublier
quel est le caractère de l’œuvre d’art ou, si l’on aime mieux, de
l’œuvre de beauté. Elle est, comme la nature humaine elle-même, un
composé : c’est une association intime d’idée et de forme. Elle implique
à la fois le sentiment et l’acte, la pure aspiration et la manifestation
positive. Dans ces conditions il est aussi difficile de concevoir l’art
se développant indépendamment d’un travail supérieur de l’esprit,
que relevant d’une philosophie qui serait absolument désintéressée
de notre monde matériel.

Mais au fond les choses ne sont pas égales. La pensée a le
privilège de s’isoler, de se suffire à elle-même. Et si, dans le dissen-
timent que nous signalons, la philosophie court quelque danger, le
plus grand péril est pour l’art qui cesse d’être lui-même en reniant
ou en laissant oublier son essence idéale. Nous le déclarons : la nature
a une autorité imposante; elle est un guide qu’il faut toujours
consulter. La pratique est chose capitale, car l’art ne peut exister
sans la matière et sans la forme. Mais ses œuvres, comme toutes les
œuvres de l’homme, tirent leur valeur de l’idée qui les inspire et du
principe auquel on peut les rattacher.
 
Annotationen