DOI Heft:
Nr. 5
DOI Artikel:Renan, Ary: Gustave Moreau, 1
DOI Seite / Zitierlink: https://doi.org/10.11588/diglit.19427#0416
GUSTAVE MOREAU.
379
de Jacob el de l’Ange, un Saint Étienne, un Calvaire, une Déposition de
croix, des Ensevelissement du Christ; mais on mettrait en tête de cette
troisième catégorie la suite des Sctlomé dont il existe plusieurs variétés,
le David, une Bethsabée...
Enfin, n’y a-t-il pas lieu de faire une dernière division pour les
œuvres entièrement nées du cerveau de l’artiste? Un long commerce
avec la légende l’induit à de mystérieux voyages. Un hippogriffe
fabuleux l’emporte alors au-dessus des terres d’Orient, bien loin... ; il
voit, au passage, les pays de l’Utopie et du Rêve, les îles Fortunées, les
Atlantides bienheureuses ; il voit des palais d’or et d’émeraude comme
ceux que Sindbad le marin découvre dans les archipels innomés du
golfe Persique, et il nous y fait entrer par la porte d'ivoire des songes.
C’est là le domaine de la Chimère, — un monstre antique dont
nous avons fait la monture de cette Péri, l’imagination.
Une telle classification n’a rien de strictement chronologique.
Mais d’une œuvre à l’autre s’accuse un mouvement ascendant qui
pousse l’artiste hors des sphères réelles. De telles divisions n’ont
surtout rien d’absolu. Toutes les œuvres du maître sont sœurs : il a
une poétique pleine de logique jusque dans sa fantaisie. Il a toujours
été animé d’un même esprit —je dirai d’une même doctrine, — et il
n’a emprunté à personne les éléments de cette doctrine.
Je crois que les premières pages de cette étude peuvent donner,
avec quelque fidélité, une explication, un plan de la route idéale que
M. Gustave Moreau s’est tracée. Elles ont du moins été suggérées par
l’examen de quelques-unes de ses œuvres principales, œuvres dont on
peut dire qu’elles sont le manifeste des idées les plus chères à l’artiste.
I.
L'homme a tous les orgueils. Il se vante aujourd’hui d’avoir un
cœur plus large et des sentiments plus compliqués que ceux de ses
ancêtres. Si vous l’écoutez, il vous dira qu’il a découvert de nouveaux
sentiments, comme la science découvre de nouvelles couleurs, qu’il a
inventé mille nuances inconnues et mille raffinements nécessaires. Il
dira que la mélancolie, par exemple, est une affection toute moderne,
et que l’àme antique ne voyait pas les sourires et les larmes des choses
comme nous les sentons.
Et peut-être que l’homme a raison; car il a le droit de dire qu’il a
découvert l’expression de la musique et connu par elle un monde
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de Jacob el de l’Ange, un Saint Étienne, un Calvaire, une Déposition de
croix, des Ensevelissement du Christ; mais on mettrait en tête de cette
troisième catégorie la suite des Sctlomé dont il existe plusieurs variétés,
le David, une Bethsabée...
Enfin, n’y a-t-il pas lieu de faire une dernière division pour les
œuvres entièrement nées du cerveau de l’artiste? Un long commerce
avec la légende l’induit à de mystérieux voyages. Un hippogriffe
fabuleux l’emporte alors au-dessus des terres d’Orient, bien loin... ; il
voit, au passage, les pays de l’Utopie et du Rêve, les îles Fortunées, les
Atlantides bienheureuses ; il voit des palais d’or et d’émeraude comme
ceux que Sindbad le marin découvre dans les archipels innomés du
golfe Persique, et il nous y fait entrer par la porte d'ivoire des songes.
C’est là le domaine de la Chimère, — un monstre antique dont
nous avons fait la monture de cette Péri, l’imagination.
Une telle classification n’a rien de strictement chronologique.
Mais d’une œuvre à l’autre s’accuse un mouvement ascendant qui
pousse l’artiste hors des sphères réelles. De telles divisions n’ont
surtout rien d’absolu. Toutes les œuvres du maître sont sœurs : il a
une poétique pleine de logique jusque dans sa fantaisie. Il a toujours
été animé d’un même esprit —je dirai d’une même doctrine, — et il
n’a emprunté à personne les éléments de cette doctrine.
Je crois que les premières pages de cette étude peuvent donner,
avec quelque fidélité, une explication, un plan de la route idéale que
M. Gustave Moreau s’est tracée. Elles ont du moins été suggérées par
l’examen de quelques-unes de ses œuvres principales, œuvres dont on
peut dire qu’elles sont le manifeste des idées les plus chères à l’artiste.
I.
L'homme a tous les orgueils. Il se vante aujourd’hui d’avoir un
cœur plus large et des sentiments plus compliqués que ceux de ses
ancêtres. Si vous l’écoutez, il vous dira qu’il a découvert de nouveaux
sentiments, comme la science découvre de nouvelles couleurs, qu’il a
inventé mille nuances inconnues et mille raffinements nécessaires. Il
dira que la mélancolie, par exemple, est une affection toute moderne,
et que l’àme antique ne voyait pas les sourires et les larmes des choses
comme nous les sentons.
Et peut-être que l’homme a raison; car il a le droit de dire qu’il a
découvert l’expression de la musique et connu par elle un monde