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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
que le héros a vaincu, non par la vigueur de son bras, mais à l’aide
d’une force merveilleuse. Et la dispensatrice de cette force mysté-
rieuse, c’est Médée l’enchanteresse, Médée dont le corps se montre
sans voile, Médée qui s’appuie avec une molle caresse et une pudeur
infinie sur celui qu’elle aima le premier, Médée qui tient encore le
vase où est renfermé le philtre qui donne la victoire à celui qui la
paye de son amour.
Jacob et l’Ange ! Encore un terrible combat, un combat dans lequel
l’homme est terrassé par une des personnifications du dieu toujours
triomphant. Un illustre maître s’est efforcé de représenter les anta-
gonistes dans la fureur de la lutte. M. Gustave Moreau préfère nous
montrer l’antique pasteur humilié dans sa force ou plutôt confondu
de l’audace qu’il a eue de se mesurer avec l’Esprit du Seigneur et
d’avoir regardé Dieu face à face. Quant à l’adversaire mystérieux,
qui ne dit pas son nom, entouré d’un rayonnement, il est rigide et
grave. Pas un pli de son grand vêtement n’est dérangé; il touche
Jacob abaissé, « et il le bénit là ».
Au Salon de 1865, M. Gustave Moreau exposa un tableau intitulé
le Jeune homme et la Mort. Ceux qui connaissent le principe du style
de M. Gustave Moreau ne s’y méprendront pas : ils sauront, avant
d’avoir vu le tableau, qu’il représente, en dépit de son titre, une
scène calme et sereine. Ce ne sera pas un brutal enlèvement, ce ne
sera pas la répétition de la fiction romantique qui représente la Mort
comme un faucheur infatigable ; ce ne sera pas une scène de larmes...
C’est une sorte d’apothéose. Un jeune homme, dans la plénitude
de la beauté virile, s’avance d’un pas fier. Il a franchi le seuil du
royaume de la Mort. Cependant, il a la vie dans le regard ; son corps
est comme un marbre sans tache. D’un geste souverain, il pose sur sa
tête une couronne, et son poing droit serre un bouquet de fleurs, em-
blème ou talisman. Un génie funèbre, à ses pieds, porte un flambeau
qui s’éteint, et derrière son beau corps nu apparaît la Mort, endormie
dans son éternelle indifférence, un glaive entre les bras, un sablier
à la main. C’est ainsi que ceux qui meurent jeunes entrent dans l’im-
mortalité, dans le domaine de la paix et du sommeil, parés de toute
leur beauté terrestre.
L’inspiration de cette œuvre est pleine de saveur antique. Aux
heures de sa vie triomphante, la race grecque regardait la mort comme
une fatalité douce et tendre. Les Morts d’Homère étaient belles et
tristes, et jamais les Anciens n’ont commis l’erreur de goût dans
laquelle est tombé si souvent l’art moderne, de prêter à la Mort
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
que le héros a vaincu, non par la vigueur de son bras, mais à l’aide
d’une force merveilleuse. Et la dispensatrice de cette force mysté-
rieuse, c’est Médée l’enchanteresse, Médée dont le corps se montre
sans voile, Médée qui s’appuie avec une molle caresse et une pudeur
infinie sur celui qu’elle aima le premier, Médée qui tient encore le
vase où est renfermé le philtre qui donne la victoire à celui qui la
paye de son amour.
Jacob et l’Ange ! Encore un terrible combat, un combat dans lequel
l’homme est terrassé par une des personnifications du dieu toujours
triomphant. Un illustre maître s’est efforcé de représenter les anta-
gonistes dans la fureur de la lutte. M. Gustave Moreau préfère nous
montrer l’antique pasteur humilié dans sa force ou plutôt confondu
de l’audace qu’il a eue de se mesurer avec l’Esprit du Seigneur et
d’avoir regardé Dieu face à face. Quant à l’adversaire mystérieux,
qui ne dit pas son nom, entouré d’un rayonnement, il est rigide et
grave. Pas un pli de son grand vêtement n’est dérangé; il touche
Jacob abaissé, « et il le bénit là ».
Au Salon de 1865, M. Gustave Moreau exposa un tableau intitulé
le Jeune homme et la Mort. Ceux qui connaissent le principe du style
de M. Gustave Moreau ne s’y méprendront pas : ils sauront, avant
d’avoir vu le tableau, qu’il représente, en dépit de son titre, une
scène calme et sereine. Ce ne sera pas un brutal enlèvement, ce ne
sera pas la répétition de la fiction romantique qui représente la Mort
comme un faucheur infatigable ; ce ne sera pas une scène de larmes...
C’est une sorte d’apothéose. Un jeune homme, dans la plénitude
de la beauté virile, s’avance d’un pas fier. Il a franchi le seuil du
royaume de la Mort. Cependant, il a la vie dans le regard ; son corps
est comme un marbre sans tache. D’un geste souverain, il pose sur sa
tête une couronne, et son poing droit serre un bouquet de fleurs, em-
blème ou talisman. Un génie funèbre, à ses pieds, porte un flambeau
qui s’éteint, et derrière son beau corps nu apparaît la Mort, endormie
dans son éternelle indifférence, un glaive entre les bras, un sablier
à la main. C’est ainsi que ceux qui meurent jeunes entrent dans l’im-
mortalité, dans le domaine de la paix et du sommeil, parés de toute
leur beauté terrestre.
L’inspiration de cette œuvre est pleine de saveur antique. Aux
heures de sa vie triomphante, la race grecque regardait la mort comme
une fatalité douce et tendre. Les Morts d’Homère étaient belles et
tristes, et jamais les Anciens n’ont commis l’erreur de goût dans
laquelle est tombé si souvent l’art moderne, de prêter à la Mort