Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2. Pér. 34.1886

DOI issue:
Nr. 6
DOI article:
Bibliographie: La vie et l'ouevre de Titien
DOI Page / Citation link:
https://doi.org/10.11588/diglit.19428#0525

DWork-Logo
Overview
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
BIBLIOGRAPHIE.

503

On doit croire que la question a paru intéressante à nos devanciers. Roger de Piles
a essayé de la résoudre. « Le Titien, dit-il, a eu quatre manières : celle de Jean
Bellin, son maître; celle de Giorgion, son compétiteur; une troisième qui étoit
fort étudiée, mais qui lui étoit propre, et la quatrième, qui avoit dégénéré en
habitude, mais toujours solide. » Et, dans un développement que nous ne pouvons
reproduire, l'auteur explique sa pensée et cite des exemples.

Il y aurait sans doute quelque chose à dire à propos do celte classification,
mais au point de vue des lignes générales, elle n’est pas tout à fait chimérique.
Titien sut son métier de fort bonne heure : sa première jeunesse est influencée
par les Bellini. Il reste un souvenir de cette manière adolescente et relativement
timide, dans la peinture du Musée d’Anvers, Jacopo Pesaro agenouillé devant saint
Pierre. M. Lafeneslre établit que ce précieux tableau a dù être peint entre 1501
et 1503. On y voit des gris cendrés, des roses pâles, des adoucissements de tons
qui promettent un coloriste très prochain. Mais déjà Titien connaît Giorgione, et
les deux amis qui, à quelques mois près, sont du même Age, vont travailler
ensemble à la décoration extérieure du Fondaco de’ Tedeschi. Dès cette époque,
Titien a le goût ornemental, le culte de l’allégorie subtile et vague dont le sens
demeure parfois inexpliqué. Ce curieux état de l’esprit se retrouve dans une peinture
éternellement séduisante, celle qu’on appelle — on n’ajamais su pourquoi — l'Amour
sacré et P Amour profane, et qui, dans un contraste volontaire, oppose une femme
nue ou peu s’en faut à une femme somptueusement vêtue. L’œuvre, jeune, mais
forte, garde encore quelque chose de giorgionesque. Le peintre de Castelfranco et
le peintre de Cadore paraissent en effet avoir vécu dans le culte du même idéal.
C’est en cette période heureuse qu’il eut été bon de voir Venise. L’école nouvelle
savoure alors toutes les joies du printemps.

Mais Giorgione disparaît et Titien devient tout à coup le chef de l’École Vénitienne.
11 entre alors dans sa troisième manière qui a presque rempli toute sa vie. C’est
l’époque, infiniment glorieuse, où son pinceau se joue avec une sûreté magistrale
dans la manœuvre d’une pâte à la fois résistante et souple. Les plus beaux Titien
sont de ce temps-là. Vers la fin, le maître semble fatigué ou, pour mieux dire,
moins convaincu : sa main s’agite un peu fiévreuse et fait quelques concessions à
l'à-peu-près. Quelle force cependant et quelle persistante vigueur ! La décadence
n’a commencé qu’aux derniers jours.

Il y aurait aussi une curieuse étude à tenter, celle de savoir quelle part Titien
a faite au sentiment dans une œuvre qui, pour le choix et la variété des sujets, a
touché à tout. Il est visible que le maître de Cadore, homme de son temps et
d’ailleurs formé à Venise, n’a pas conservé grand’chose des inquiétudes de l’art
du passé. Il n’a point souffert, et il l'avoue. La vérité est que, dès les premières
années du xvie siècle, il s’opéra une révolution dans l’àme italienne. Sauf Michel-
Ange, qui n’avait que deux ans de plus que Titien et qui reste si profondément
tourmenté de l’angoisse morale qu’il a parfois le mystère d'un sphinx attendri,
presque tous les maîtres, après la mort de Mantegna et des florentins exquis et
douloureux comme Bollicelli, en prennent fort à leur aise vis-à-vis de la traduction
des émotions humaines. Ils cessent du moins de leur donner le premier rôle. On
croirait de leur part à une conviction diminuée, à une préoccupation presque
exclusive des vertus techniques devant lesquelles disparaissent le sanglot et le cri
des entrailles. A ce point de vue, Titien, si grand qu’il soit, a déjà un pied dans
 
Annotationen