UN PORTRAIT DE GEORGE SAND
ppuyée contre un cippe de bronze antique, sur les degrés de
l’amphithéâtre, Lélia contemplait le bal ; elle avait revêtu un
costume caractéristique, mais elle l’avait choisi noble et
sombre comme elle ; elle avait le vêtement austère et pourtant recher-
ché, la pâleur, la gravité, le regard profond d’un jeune poète d’autre-
fois, alors que les temps étaient poétiques et que la poésie n’était
pas coudoyée dans la foule. Les cheveux noirs de Lélia, rejetés en
arrière, laissaient à découvert ce front où le doigt de Dieu semblait
avoir imprimé le sceau d’une mystérieuse infortune... Le manteau
de Lélia était moins sombre, moins velouté que ses grands yeux
couronnés d’un sourcil mobile. La blancheur mate de son visage
et de son cou se perdait dans celle de sa vaste fraise, et la froide
respiration de son sein impénétrable ne soulevait même pas le
satin noir de son pourpoint et les triples rangs de sa chaîne d’or... »
Si l’on supprime le cippe de bronze et les triples rangs de la
chaîne d’or, cette description de Lélia s’applique avec une exacti-
tude singulière à la délicieuse esquisse de Delacroix que publie la
Gazette des Beaux-Arts.
Ce petit portrait de George Sand, presque ignoré du public,
représente l’illustre romancière à cette période de sa vie où elle
s’incarnait elle-même dans le personnage de Lélia. Et c’est bien
Lélia, en effet, toute jeune, pâle et maigrie par les premières années
de lutte, d’effort, de passion. Son petit visage n’a rien encore de la
majesté lourde de la Bonne Dame de Nohant — et il apparaît moins
maternel qu’amoureux, énergique et cependant très féminin, nulle-
ment beau au sens classique et conventionnel, mais intéressant,
séduisant par l’expression mystérieuse et la chaude couleur, et parce
que les peintres appellent le « caractère ». C'est la muse roman-
ppuyée contre un cippe de bronze antique, sur les degrés de
l’amphithéâtre, Lélia contemplait le bal ; elle avait revêtu un
costume caractéristique, mais elle l’avait choisi noble et
sombre comme elle ; elle avait le vêtement austère et pourtant recher-
ché, la pâleur, la gravité, le regard profond d’un jeune poète d’autre-
fois, alors que les temps étaient poétiques et que la poésie n’était
pas coudoyée dans la foule. Les cheveux noirs de Lélia, rejetés en
arrière, laissaient à découvert ce front où le doigt de Dieu semblait
avoir imprimé le sceau d’une mystérieuse infortune... Le manteau
de Lélia était moins sombre, moins velouté que ses grands yeux
couronnés d’un sourcil mobile. La blancheur mate de son visage
et de son cou se perdait dans celle de sa vaste fraise, et la froide
respiration de son sein impénétrable ne soulevait même pas le
satin noir de son pourpoint et les triples rangs de sa chaîne d’or... »
Si l’on supprime le cippe de bronze et les triples rangs de la
chaîne d’or, cette description de Lélia s’applique avec une exacti-
tude singulière à la délicieuse esquisse de Delacroix que publie la
Gazette des Beaux-Arts.
Ce petit portrait de George Sand, presque ignoré du public,
représente l’illustre romancière à cette période de sa vie où elle
s’incarnait elle-même dans le personnage de Lélia. Et c’est bien
Lélia, en effet, toute jeune, pâle et maigrie par les premières années
de lutte, d’effort, de passion. Son petit visage n’a rien encore de la
majesté lourde de la Bonne Dame de Nohant — et il apparaît moins
maternel qu’amoureux, énergique et cependant très féminin, nulle-
ment beau au sens classique et conventionnel, mais intéressant,
séduisant par l’expression mystérieuse et la chaude couleur, et parce
que les peintres appellent le « caractère ». C'est la muse roman-