Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 34.1905

DOI Heft:
Nr. 4
DOI Artikel:
Ritter, William: Correspondance de Bohême
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.24816#0386

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
346

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

l’impulsion prépondérante dans la formation d’une véritable manière moderne,
née dans ces pays-là avant tout des nécessités des métiers graphiques compris
d’une toute autre façon que celle dont on les restaurait en France au même
temps. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à comparer, en établissant les dates, les
premières lithographies en plusieurs tons de MM. Steinhausen et Hans Thoma
qui ont engendré le mouvement, avec les lithographies contemporaines de
France qui se gardaient si soigneusement des séductions réputées alors héré-
tiques de la couleur, ou bien une estampe aujourd’hui môme de M. Hans von
Volkmann avec une de M. Henri Rivière. La peinture des artistes de Mânes
résulte, en tous cas, autant des mêmes faits que de tout ce que la jeunesse de ces
messieurs devinait et grillait de connaître de la France et des luttes impres-
sionnistes. Quand ils en ont de leurs yeux vu quelque chose, leur siège était fait
ils étaient arrivés à des procédés impressionnistes par les crayons de couleur.

Il leur est resté de ce juvénile désir de prendre part à de grandes disputes
esthétiques une bienveillance a priori pour tout ce qui fait pousser les hauts
cris à l’étranger. Sans son Balzac, jamais Rodin n’aurait eu d’exposition à
Prague et son séjour n’y aurait pas revêtu les allures de triomphe que l’on sait.
Si les hôteliers de Christiania n’avaient pas refusé d’abriter en la personne d’un
de leurs compatriotes, le fauteur de peintures si anormales de fond comme de
forme, et si le Rudolfinum n’en avait pas dissimulé quelques-unes avec d’amu-
santes pudeurs à l’une de ses dernières expositions, nous y aurions perdu le
beau tapage qui s’est mené ce printemps autour du pavillon Mânes rempli
d’œuvres horrifiantes de M. Edvard Muncli. En quelques mots voici ce dont il
s’agit. Un jeune Norvégien réfléchi, misanthrope et taciturne, de la race des Ibsen
et des Strindberg, doué d’un incontestable talent de portraitiste, voit en laideur
simplifiée les choses et les gens, et s’exerce à les traduire avec une naïveté enfan-
tine en dépit d’une forte éducation artistique. Il sait le français; il sait donc
quelque chose de Henry de Groux, de van Gogh, de Gauguin, des Indépendants,
avec lesquels il se sent des affinités. Mais, comme il a quelque chose à dire et les
moyens de se passer de succès, il se crée une langue à sa guise et nous raconte,
par un dessin attentif au seul mouvement et par des dissonances de couleurs
fielleuses et vénéneuses, l'alcoolisme et l’avortement, les comédies de la
maladie et de la mort, de l’abrutissement et du vice, et la laideur fantastique et
grave des foules contemporaines. Il se sert pour cela de colorations agressives
et virulentes, destinées à augmenter la dérision et l’épouvante. Il n’y a de quoi
ni s’enthousiasmer tant, ni crier tant : c’est une forme moderne, un peu plus
morbide qu’autrefois, parce que à prétentions scientifiques, du goût macabre.
Cela ressort de l’hôpital en même temps que de l’art. Enregistrons et passons
sans applaudir et surtout sans sourire. Il y avait, il y a peut-être encore, en
M. Edvard Munch l’étoffe d’un grandartiste ; et même à lui refuser tout, si l’on y
tient, une chose doit lui rester : l’estime que l’on doit à quiconque demeure opi-
niâtrément son propre maître.

WILLIAM R rr T E R
 
Annotationen