LES ARTISTES LYONNAIS
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pénétré de l’influence de Guindrand, lorsqu’un succès excessif le
retint à Paris. Quelques œuvres le montrent en possession de dons
de peintres peu communs : le Concert des masques, par exemple
(Musée). Le pierrot à la guitare y présente une blancheur fanée de
haut goût et le tapis de la table un bleu presque magique; malgré
les bruns envahisseurs, cette fantaisie fleure toujours bon notre art
du xvm® siècle. Et l’on voit par ses paysages combien était profond
son sentiment de la nature. Ses qualités lyonnaises ne sont pas dans
ses natures mortes, morceaux de vaine virtuosité, mais dans des
motifs comme la Vallée du musée, effet en jaune et vert d’une belle
pâte, et comme la Marine, harmonie assez lumineuse en citrin gri-
soyant, de la collection G. de Magneval. Le meilleur de Guindrand se
retrouve en ces pages,
Quant à Yernay, c’est, après Ravier et Carrand, le plus original
des artistes locaux. Bien que la vie lui fût dure dans sa ville natale,
où le public le méconnaissait, il voulut y rester1. Selon certains il
aurait refusé de venir à Paris, où Corot lui offrait de subvenir à ses
besoins jusqu’à ce qu’il eût une vente assurée. Pendant des années,
il fut dessinateur de fabrique, et sans quelques amis dévoués il
n’aurait jamais pu travailler assez pour arriver au chef-d’œuvre. Deux
de ses tableaux, Pommes et poires, aux tons puissants quoiqu’un peu
crus, et un paysage d’une douce mélancolie, figurèrent en 1883 à
Paris, au Cercle de la rue Vivienne. Mais cette exposition avait été or-
ganisée, presque sans publicité, par une société naissante, 1' « Union
des artistes de la région lyonnaise», et qui se souciait alors de courir
les petils salons2? La tentative n’ayant pas eu de lendemain, ce
fut seulement en 1900 que, pour l’Exposition Universelle, et grâce
à l’initiative de M. Roger Marx, des œuvres de Yernay revinrent
dans la capitale, accompagnées cette fois d’aquarelles de Ravier,
assez typiques pour donner une bonne idée de l’art du maître. Ce
fut une révélation. Dans tous les milieux où l’art passionne, on
acclama les noms des deux grands coloristes lyonnais; et l’on y
eût honoré de même ceux de Berjon et de Grobon si le musée, qui
conserve leurs œuvres, n’avait refusé d’en prêter quelques-unes.
1. Pendant son adolescence, il avait fait un séjour à Milan, où ses parents,
ouvriers en soie, étaient allés en 1848 chercher du travail.
2. Qui se souciait aussi de fouiller les revues spéciales ? Burty avait signalé
la valeur de Yernay et celle de Borel dès 1864, dans la Gazette des Beaux-Arts,
où, de 1860 à 1870, plusieurs pages furent consacrées, presque chaque année, au
Salon lyonnais.
xxxix. — 3e PÉRIODE.
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pénétré de l’influence de Guindrand, lorsqu’un succès excessif le
retint à Paris. Quelques œuvres le montrent en possession de dons
de peintres peu communs : le Concert des masques, par exemple
(Musée). Le pierrot à la guitare y présente une blancheur fanée de
haut goût et le tapis de la table un bleu presque magique; malgré
les bruns envahisseurs, cette fantaisie fleure toujours bon notre art
du xvm® siècle. Et l’on voit par ses paysages combien était profond
son sentiment de la nature. Ses qualités lyonnaises ne sont pas dans
ses natures mortes, morceaux de vaine virtuosité, mais dans des
motifs comme la Vallée du musée, effet en jaune et vert d’une belle
pâte, et comme la Marine, harmonie assez lumineuse en citrin gri-
soyant, de la collection G. de Magneval. Le meilleur de Guindrand se
retrouve en ces pages,
Quant à Yernay, c’est, après Ravier et Carrand, le plus original
des artistes locaux. Bien que la vie lui fût dure dans sa ville natale,
où le public le méconnaissait, il voulut y rester1. Selon certains il
aurait refusé de venir à Paris, où Corot lui offrait de subvenir à ses
besoins jusqu’à ce qu’il eût une vente assurée. Pendant des années,
il fut dessinateur de fabrique, et sans quelques amis dévoués il
n’aurait jamais pu travailler assez pour arriver au chef-d’œuvre. Deux
de ses tableaux, Pommes et poires, aux tons puissants quoiqu’un peu
crus, et un paysage d’une douce mélancolie, figurèrent en 1883 à
Paris, au Cercle de la rue Vivienne. Mais cette exposition avait été or-
ganisée, presque sans publicité, par une société naissante, 1' « Union
des artistes de la région lyonnaise», et qui se souciait alors de courir
les petils salons2? La tentative n’ayant pas eu de lendemain, ce
fut seulement en 1900 que, pour l’Exposition Universelle, et grâce
à l’initiative de M. Roger Marx, des œuvres de Yernay revinrent
dans la capitale, accompagnées cette fois d’aquarelles de Ravier,
assez typiques pour donner une bonne idée de l’art du maître. Ce
fut une révélation. Dans tous les milieux où l’art passionne, on
acclama les noms des deux grands coloristes lyonnais; et l’on y
eût honoré de même ceux de Berjon et de Grobon si le musée, qui
conserve leurs œuvres, n’avait refusé d’en prêter quelques-unes.
1. Pendant son adolescence, il avait fait un séjour à Milan, où ses parents,
ouvriers en soie, étaient allés en 1848 chercher du travail.
2. Qui se souciait aussi de fouiller les revues spéciales ? Burty avait signalé
la valeur de Yernay et celle de Borel dès 1864, dans la Gazette des Beaux-Arts,
où, de 1860 à 1870, plusieurs pages furent consacrées, presque chaque année, au
Salon lyonnais.
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