DOI issue:
Nr. 6
DOI article:Beaunier, André: Les salons de 1908, 2
DOI Page / Citation link:https://doi.org/10.11588/diglit.24866#0530
LES SALONS DE 1908
493
est destiné à ce petit square qu’on a déjà si étourdiment encombré.
Signalons d’abord la médiocrité de ce sujet : le Génie vainqueur
du Temps. Alors, le Temps est écroulé, lamentable; mais le Génie
s’échappe, à tire-d’aile. 11 a, ce Génie, d’assez longs cheveux frisés,
comme un vieux rapin. Son bras droit se tend vers le ciel; et,
de la main gauche, il fait signe au Temps, qui d’ailleurs n’en peut
mais, de se tenir tranquille. Vu de dos, ce groupe présente au
triste regard du passant un affreux embrouillement : une jambe du
Génie compose, avec un bras du Temps, une croix de Saint-x\ndré.
A cela s’ajoutent un manche de faulx — allégorie, allégorie, que
me veux-tu? — et une aile d’on ne sait qui. La jambe droite du
Temps ressemble à un vieux jambon sec.
Voilà ce que notre temps, à nous, se propose d’ajouter au
paysage du Louvre !...
Je me demande, et j’en suis confus, si l’idée républicaine convient
au symbolisme sculptural. Et j’avoue que je n’aurais pas songé à
poser cette question, quasi indiscrète, si je n'avais constaté que les
tentatives faites cette année pour célébrer la forme de gouverne-
ment qui est la nôtre, sont pitoyables.
Pourquoi, mon Dieu, le sont-elles? L’idée républicaine est un
beau thème; des poètes, tels que Victor Hugo, l’ont exploitée à mer-
veille. On lui a adjoint, en général, d’autres idées, dont l’éloge n’est
plus à faire : l’idée de Paix, l'idée de Liberté, l’idée de Justice,
l’idée de Fraternité, l’idée d’Opulence, etc. Je ne sais pas pourquoi
les sculpteurs qui se chargent de glorifier ces idées et les sentiments
y afférant ne réalisent rien que de vulgaire et de suranné. Notons
que ce sont des idées calmes, et donc par nature propices au bel
art immobile de la sculpture... Ils ne font rien que de vulgaire et de
suranné !...
M. Jean-Marie Mengue a traité, provisoirement en plâtre, La
République semeuse de bienfaits. C’est l’allégorie qu’on voit sur nos
pièces d’argent, par les soins de M. Roty. Seulement, coiffée de son
bonnet phrygien, la République de M. Jean-Marie Mengue a l’air
d’une petite bonne qui vient de claquer les portes : sa démarche est
furieuse; et, son poing crispé, on ne devine pas tout de suite qu’il
ne contient que des bienfaits. Elle sème avec un entrain qui
ressemble à de la colère; son geste de semeuse est trop auguste: ce
n’est pas comme cela qu’on sème, des bienfaits surtout. Elle les
jette, elle les lance au diable. Commande de l’Etat, notre commande !
M. Villeneuve a élevé A la gloire de la République un monu-
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est destiné à ce petit square qu’on a déjà si étourdiment encombré.
Signalons d’abord la médiocrité de ce sujet : le Génie vainqueur
du Temps. Alors, le Temps est écroulé, lamentable; mais le Génie
s’échappe, à tire-d’aile. 11 a, ce Génie, d’assez longs cheveux frisés,
comme un vieux rapin. Son bras droit se tend vers le ciel; et,
de la main gauche, il fait signe au Temps, qui d’ailleurs n’en peut
mais, de se tenir tranquille. Vu de dos, ce groupe présente au
triste regard du passant un affreux embrouillement : une jambe du
Génie compose, avec un bras du Temps, une croix de Saint-x\ndré.
A cela s’ajoutent un manche de faulx — allégorie, allégorie, que
me veux-tu? — et une aile d’on ne sait qui. La jambe droite du
Temps ressemble à un vieux jambon sec.
Voilà ce que notre temps, à nous, se propose d’ajouter au
paysage du Louvre !...
Je me demande, et j’en suis confus, si l’idée républicaine convient
au symbolisme sculptural. Et j’avoue que je n’aurais pas songé à
poser cette question, quasi indiscrète, si je n'avais constaté que les
tentatives faites cette année pour célébrer la forme de gouverne-
ment qui est la nôtre, sont pitoyables.
Pourquoi, mon Dieu, le sont-elles? L’idée républicaine est un
beau thème; des poètes, tels que Victor Hugo, l’ont exploitée à mer-
veille. On lui a adjoint, en général, d’autres idées, dont l’éloge n’est
plus à faire : l’idée de Paix, l'idée de Liberté, l’idée de Justice,
l’idée de Fraternité, l’idée d’Opulence, etc. Je ne sais pas pourquoi
les sculpteurs qui se chargent de glorifier ces idées et les sentiments
y afférant ne réalisent rien que de vulgaire et de suranné. Notons
que ce sont des idées calmes, et donc par nature propices au bel
art immobile de la sculpture... Ils ne font rien que de vulgaire et de
suranné !...
M. Jean-Marie Mengue a traité, provisoirement en plâtre, La
République semeuse de bienfaits. C’est l’allégorie qu’on voit sur nos
pièces d’argent, par les soins de M. Roty. Seulement, coiffée de son
bonnet phrygien, la République de M. Jean-Marie Mengue a l’air
d’une petite bonne qui vient de claquer les portes : sa démarche est
furieuse; et, son poing crispé, on ne devine pas tout de suite qu’il
ne contient que des bienfaits. Elle sème avec un entrain qui
ressemble à de la colère; son geste de semeuse est trop auguste: ce
n’est pas comme cela qu’on sème, des bienfaits surtout. Elle les
jette, elle les lance au diable. Commande de l’Etat, notre commande !
M. Villeneuve a élevé A la gloire de la République un monu-